Note de l’Observatoire du Bien-être n°2022-13 : L’environnement et les Français, préoccupations et pratiques

En 2021, les préoccupations environnementales se hissaient au deuxième rang des inquiétudes principales des Français, derrière la violence et l’insécurité1. Un véritable renversement de l’ordre des inquiétudes s’est opéré notamment depuis les confinements successifs de 2020. Grâce au travail de prévention et de médiatisation de nombreux acteurs, les problèmes environnementaux, historiquement souvent écartés au profit de sujets comme le chômage et l’immigration, sont aujourd’hui amplement reconnus par la population française. Toutefois, ces dangers sont variés et différemment perçus selon les groupes sociaux.

Afin d’atténuer leurs conséquences néfastes, de nombreuses pratiques pro-environnementales existent. De nature multiple, allant du tri des déchets ménagers au transport quotidien « propre », ils font aujourd’hui partie intégrante de la vie des Français. Nous montrons que ces efforts exercent une influence positive sur le bien-être de ceux qui les pratiquent.

Notre travail s’inscrit dans la continuité des études déjà produites par le Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires sur le sujet2. L’ensemble des résultats présentés provient des plateformes « Bien-être » et « Environnement » de l’Enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages (CAMME) réalisée par l’INSEE.

Corin Blanc, Observatoire du Bien-être du Cepremap

Publié le 14 novembre 2022

Un tour d’horizon des préoccupations environnementales en France

Dans le temps…

Parce qu’elles deviennent de plus en plus visibles, connues et même parfois subies, les questions environnementales d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’il y a cinq ans (Figure 1). Parmi les évènements environnementaux dits globaux, le réchauffement climatique est le plus cité en tant que préoccupation majeure. Alors que 45% des Français le plaçait parmi ses deux premières préoccupations en 2016, il est mentionné par plus de 60% d’entre eux en 2021. Cette progression presque linéaire montre l’intérêt grandissant des Français quant à l’urgence de la crise climatique en cours.

L’occurrence de catastrophes naturelles et la disparition animale et végétale de masse3 sont intimement liées au réchauffement climatique. Ainsi, malgré quelques variations, la perception de ces préoccupations reste relativement stable ces dernières années. Après une sensible diminution en 2019, un regain d’inquiétude concernant les catastrophes naturelles est en cours. La multiplication des incendies dévastateurs ces dernières années, provoquée par l’élévation des températures et les stress hydriques récurrents au cours de l’été, ainsi que des tempêtes et des inondations à d’autres périodes touche directement les Français au cœur de leur quotidien.

Les préoccupations environnementales sont aussi locales. La pollution de l’air ainsi que la pollution de l’eau, des rivières et des lacs semblent être les problèmes locaux les plus inquiétants, se hissant au même niveau, voire au-dessus des catastrophes naturelles à certaines périodes. Alors citée par 45% des répondants en 2016, on remarque toutefois une diminution significative de la préoccupation liée à la pollution de l’air année après année. Ce résultat est probablement dû aux hivers plus chauds vécus ces dernières années4. Ce faisant, les Français réduisent en partie l’utilisation de la voiture individuelle et des chauffages individuels et donc les pics de pollution pendant cette période.

Finalement, il est bon de remarquer que seulement 1,7% des Français estiment qu’aucun de ces problèmes ne fait partie des deux préoccupations les plus urgentes en 2021. Néanmoins, si ces préoccupations écologiques font généralement l’unanimité, les différentes générations ne donnent pas la même priorité à chacune d’entre elles.

… Par génération…

Selon leur âge, les Français ne se sentent pas concernés par les mêmes préoccupations environnementales. Pour les évènements globaux, les catastrophes naturelles, sont majoritairement désignées par les plus âgés, alors que la disparition d’espèces animales et végétales est un thème bien plus préoccupant pour les plus jeunes (Figure 2).

Cette divergence des préoccupations selon l’âge reflète certainement l’expérience de chacun ainsi que son horizon de vie. Comme on le verra plus tard, laisser un environnement de qualité aux générations futures constitue la motivation principale des plus jeunes à agir pour protéger l’environnement. Au contraire, les plus âgés sont plus motivés par la protection de leur santé et celle de leurs proches, et se soucient donc davantage des évènements qui peuvent les menacer à court terme.

Le réchauffement climatique est tout de même majoritairement choisi comme préoccupation principale, quel que soit l’âge. Il est intéressant d’observer que ce ne sont pas les plus jeunes qui désignent l’urgence climatique en premier mais la tranche 55 à 65 ans, première jeune génération à avoir été alertée du dérèglement climatique dans les années 1980/90.

Les préoccupations locales sont moins différenciées selon l’âge (Figure 3). Il faut toutefois remarquer que la grande majorité de ceux que n’inquiète aucun évènement appartient au groupe 65 ans et plus. Ils ne représentent toutefois qu’une faible fraction de la population.

Si les préoccupations varient en fonction de l’âge, elles dépendent aussi de la zone d’habitation des personnes.

Et par territoire habité

L’enquête CAMME ne nous permet pas de connaître précisément la localisation des répondants. En revanche, nous connaissons la démographie autour de leur résidence principale. Nous procédons ainsi à un découpage sommaire afin de différencier les réponses des habitants selon qu’ils vivent dans des villes de plus ou moins de 100 000 habitants.

On relève un écart entre les communes en fonction de leur taille (Figure 4). La pollution de l’air est un sujet touchant bien plus les grandes villes puisqu’elles doivent souvent faire face à des pics de pollution liés au trafic automobile. Il en va de même pour la gêne liée au bruit. La pollution de l’eau quant à elle semble plus inquiétante pour les habitants de petites communes, probablement du fait de leur proximité avec les rivières et les lacs dont la pollution est de plus en plus régulière et visible.

Les pratiques pro-environnementales des Français

La majorité des Français désignent les pouvoirs publics comme acteur principal de la lutte contre la dégradation environnementale. Cependant, il est clair que l’action individuelle ne doit pas être sous-estimée. Les changements d’habitude de transports, la réduction de consommation intensive en carbone, en pesticides et en déchets et la limitation de l’utilisation d’énergie sont autant de possibilités pour empêcher un endommagement irrémédiable de notre environnement.

Des actions concrètes de différentes natures

L’enquête CAMME nous renseigne notamment sur les habitudes de consommation des français. D’après elle, presque 65% des consommateurs ont réalisé des achats dans un magasin bio ou dans le rayon bio d’un supermarché dans le mois précédent l’enquête de 2021 (Figure 5). 57% d’entre eux auraient acheté un ou plusieurs produits portant un label écologique sur la même période. Si cela ne nous indique pas le caractère régulier et systématique de ce type de consommation, il faut tout de même observer sa nette augmentation jusqu’en 2020.

Cette progression correspond à la multiplication des produits bio et portant un label bio. Mais c’est avant tout parce qu’ils sont perçus comme une consommation saine pour soi que ces produits sont achetés5 et non pas tant par priorité écologique. La prise de conscience de cette différence a probablement contribué à la baisse des ventes de produits bio que l’on observe en 2021. On note aussi la grande diversité de labels ne fournissant pas nécessairement les mêmes garanties de qualité sanitaire et écologique, comme la protection de la biodiversité et l’interdiction des cultures sous serres chauffées6.

Dans l’enquête CAMME, la consommation plus ou moins responsable des Français est aussi évaluée au travers de questions sur la provenance géographique des achats alimentaires ou non, l’attention portée aux déchets impliqués par la consommation ménagère et les habitudes de consommation d’énergie.

D’un point de vue général, on observe une diminution de ceux qui ne pratiquent jamais ces actions au profit d’agissements répétés mais non-systématiques (Figure 6). Par exemple, presque 39% des Français ne faisaient jamais attention aux déchets impliqués par leur consommation en 2016. Ils ne sont plus que 29% dans ce cas en 2021. Une progression partagée pour les actions de type consommation alimentaire locale et économie d’énergie. Il faut d’ailleurs noter en cette période de pénurie énergétique que déjà 70% des Français en 2021 baissent souvent ou toujours le chauffage pour limiter leur consommation d’énergie. Le manque de consommation locale pour les produits non-alimentaires reflète notamment les coûts associés à ce type de produits, inenvisageable pour une partie de la population, ou tout simplement l’inexistence des produits dans certains cas.

Malheureusement, l’échantillon de l’enquête CAMME est de trop petite taille pour nous permettre d’étudier la question des transports quotidiens, notamment entre les lieux de travail et de vie. Le renoncement à l’utilisation journalière de la voiture, première cause des émissions de gaz à effets de serre par personne, au profit de modes de transports propres pourrait être un pilier des actions pro-environnementales des Français. Dans ce sens, une véritable demande de meilleures pistes cyclables, plus nombreuses et plus sûres émerge depuis 2019. Cette progression semble d’ailleurs apparaître en même temps qu’une baisse, de 37% en 2016 à 29% en 2021, des irréductibles automobilistes ne souhaitant pas changer leurs habitudes quelles que soient les politiques publiques mises en place.

Les gens ont-ils l’impression d’agir suffisamment ?

Trois nouvelles questions sur l’évaluation subjective de l’action pro-environnementale ont été intégrées à la plateforme “Environnement” de l’enquête CAMME en 2020. Il est demandé comment les individus agissent et qu’est-ce qui les motive le plus pour protéger l’environnement à leur niveau et leur état d’esprit concernant ce thème (Figure 7). Les résultats sont frappants : 61% de la population annonce déjà participer activement à la lutte pour la protection de l’environnement, plus d’un tiers des répondants estiment pouvoir faire davantage et seule une très faible fraction ne pense pas qu’il soit vraiment utile d’agir individuellement. Les Français estiment très majoritairement (73.2%) que chacun doit s’investir le plus possible. Il faut aussi noter la part encore importante (13.5%) de ceux qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour agir à leur niveau. Ainsi, une grande majorité de la population est consciente et s’inquiète des problèmes environnementaux, désire fondamentalement agir mais trouve difficile d’en faire davantage.

Les motivations entraînant l’action pro-environnementales des individus sont plus réparties. Si 40.2% de la population pense avant tout à laisser aux générations futures un environnement de qualité, la protection de la santé (25.3%) ainsi que de la nature et des espèces animales et végétales (21.6%) constituent autant de motifs d’action. Bien entendu, ces motivations diffèrent selon l’âge des individus.

L’âge, un vecteur critique des différences de pratiques pro-environnementales

Comme discuté en première partie, léguer un environnement sain aux générations futures constitue la motivation principale pour l’ensemble de la population (Figure 8). Toutefois, les générations plus anciennes sont plus partagées et espèrent aussi protéger leur santé et celle de leurs proches. Le changement climatique en lui-même n’est pas réellement une source d’inspiration pour la population. Ce sont davantage ses conséquences désastreuses sur la société, la santé et l’environnement qui alertent et motivent.

L’évaluation des actions pro-environnementales est aussi loin d’être unanime entre les individus de génération différente (Figure 9). Un écart important semble aujourd’hui installé entre jeunes et moins jeunes quant à la possibilité d’agir. Les populations les plus âgées disent en majorité faire le plus possible et avoir atteint une certaine limite. Au contraire, les générations les plus jeunes indiquent majoritairement pouvoir faire davantage pour protéger l’environnement. Ce résultat peut indiquer différentes interprétations : d’abord il est possible que cette population soit plus réaliste quant à l’importance des efforts à fournir pour protéger l’environnement. Ensuite, il est probable qu’ils anticipent un accroissement de leurs capacités dans le futur, notamment grâce à un revenu ou un statut plus élevé. Finalement, un certain optimisme peut être à l’origine de ce résultat.

Et si pour mieux vivre, il fallait prendre soin de notre environnement ?

Notre observatoire analyse depuis des années l’évolution du bien-être subjectif des Français à travers différentes dimensions telles que la satisfaction de vie, les perspectives futures, le sens donné à sa vie ou bien le bonheur quotidien7. Parce que la protection de l’environnement fait aujourd’hui partie des préoccupations principales des Français, elle est susceptible d’influencer également leur bien-être.

Au sein des personnes interrogées par l’enquête, ceux qui indiquent la nécessité d’un investissement individuel maximal déclarent également un niveau de satisfaction dans la vie plus élevé que ceux qui évoquent un manque de moyen pour agir (Figure 10). La frustration liée à la conscience des problématiques environnementales sans la possibilité de participer semble donc agir directement sur les individus par le biais de leur satisfaction de vie ou leurs perspectives futures. C’est chez ceux déclarant que tous devraient s’investir le plus possible pour protéger l’environnement que l’on observe le plus fort sentiment que leur vie a un sens. À l’inverse, la satisfaction de vie des personnes trouvant les problèmes environnementaux exagérés est particulièrement faible.

Finalement, notre dernier graphique (Figure 11) illustre les différences de bien-être des individus en fonction de leur évaluation de leurs éco-actions. Un résultat frappant apparaît : ceux qui estiment qu’ils en font déjà beaucoup ou le plus possible déclarent un niveau de satisfaction de vie et d’optimisme concernant leurs perspectives future plus faibles que la partie de la population affirmant pouvoir faire davantage. Comme analysé précédemment, cette différence peut en partie venir des différences d’âge. Toutefois, l’analyse économétrique montre que cet argument n’est pas suffisant pour expliquer les écarts de pratiques pro-environnementales. Il se pourrait également que les personnes s’investissant déjà beaucoup ressentent directement les limites structurelles de leurs actions, alors que les autres resteraient très optimistes sur leur marge d’action.

En guise de conclusion

Cette note nous renseigne sur les différentes préoccupations environnementales des Français, leur évolution au cours du temps, ainsi que leur divergence selon l’âge ou le lieu de vie. Si le réchauffement climatique est aujourd’hui la préoccupation principale de tous, on observe l’inquiétude des plus jeunes pour la disparition des espèces animales et végétales quand les plus âgés se sentent plus concernés par les catastrophes naturelles.

Au-delà des actions pro-environnementales concrètes, aujourd’hui en hausse depuis 2016, on constate aussi une forte mobilisation des Français estimant majoritairement que tous devraient s’investir le plus possible. On remarque toutefois une différence des sources de motivation selon l’âge, les plus jeunes espérant surtout protéger l’environnement pour les générations futures.

Enfin, on note l’influence sur le bien-être des individus de leurs propres actions pro-environnementales. Ceux qui estiment nécessaire de s’investir le plus possible sont en moyenne plus satisfaits de leur vie que ceux qui se sentent démunis de moyens d’agir. L’optimisme des Français considérant pouvoir faire davantage entraîne une satisfaction de vie et des perspectives d’avenir meilleures que celles des Français estimant qu’ils s’investissent déjà beaucoup.

Données

Les données sur les attitudes à l’égard de l’environnement proviennent de la plate-forme « Écologie et Environnement » de l’enquête Camme. Cette plate-forme est gérée par le service statistique du Commissariat Général au Développement Durable, sous l’égide du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Un explorateur interactif vous permet de découvrir ces données.

Les données Camme, incluant les réponses aux plates-formes « Écologie et Environnement » et « Bien-être » ont été mises à disposition par l’ADISP : Enquête de conjoncture auprès des ménages (CAMME) – 2021, INSEE [producteur], ADISP [diffuseur], séries lil-1176 (2016), lil-1253 (2017), lil-1309 (2018), lil-1373 (2019), lil-1487 (2020) et lil-1539 (2021).

  1. Voir ADEME, CREDOC (Charlotte Millot, Jörg Müller), 2021, Sensibilité à l’environnement, action publique et fiscalité environnementale : l’opinion des Français en 2021. Focus sur les aspirations vis-à-vis de notre modèle de société, 19p.
  2. Voir Pratiques environnementales des Français en 2021 : agir à l’échelle individuelle, septembre 2022, Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires (SDES)
  3. D’après le récent rapport Planète Vivante 2022 du WWF, une baisse de 69% des populations d’animaux sauvages vertébrés s’est produite en moins de cinquante ans.
  4. L’hiver 2019-2020 a été identifié par Météo France comme le plus chaud depuis 1900, avec un excédent de température de +2,7°C par rapport à la moyenne des températures hivernales calculée entre 1981 et 2010.
  5. «Gil Kressman, Un marché bio en crise profonde », Paysans & société, 2022
  6. AB, Demeter, HVE… Les labels sont-ils vraiment écolos ?, Vert, octobre 2022
  7. Mathieu Perona, « Le Bien-être des Français – Septembre 2022 », Observatoire du Bien-être du CEPREMAP, n°2022-12, 17 octobre 2022.