Note de l’Observatoire du Bien-être n°2022-12 : Le Bien-être des Français – Septembre 2022

Notre tableau de bord de septembre montre une dégradation des indicateurs de bien-être les plus sensibles aux conditions matérielles : satisfaction à l’égard du niveau de vie, anticipations quant aux prochaines années. Par conséquent, la satisfaction dans la vie se replie elle aussi, mais dans une moindre mesure car les dimensions de bien-être émotionnel restent stables.

Cette inquiétude doit naturellement beaucoup à la conjoncture économique et à l’inflation. L’indice synthétique de confiance des ménages reste très bas, et près des trois quarts des ménages s’attendent à une poursuite de l’inflation au moins à son rythme actuel sur les 12 prochains mois. Au regard de ces anticipations très négatives, le recul de la satisfaction dans la vie reste limité.

Socialement, ces inquiétudes touchent tant les classes moyennes que les ménages modestes. Le contraste est en fait surtout générationnel : sur plusieurs mesures, les moins de 45 ans sont les plus affectés.

Publié le 17 octobre 2022

Mathieu Perona, Observatoire du Bien-être du Cepremap

En juin dernier, notre note de conjoncture montrait que l’inquiétude grandissante des ménages quant à leur situation financière n’avait pas encore entamé la satisfaction à l’égard du niveau de vie. Bien qu’en régression par rapport à la période de pandémie, cette dernière restait encore à un niveau comparable à celui d’avant 2020. Cette résistance s’érode en septembre. Les ménages constatent une inflation forte et anticipent sa poursuite pour au moins un an, ce qui entame tant l’appréciation de leur niveau de vie que celles de leur vie dans les prochaines années1.

Le niveau de vie devient une inquiétude majeure.

Comme chaque trimestre, l’examen du bien-être des Français commence par la dimension évaluative, la satisfaction à l’égard de la vie menée actuellement (Figure 1). Après les hauts et les bas de la pandémie, cette mesure avait oscillé depuis neuf mois autour de sa moyenne de long terme. En septembre, une nouvelle baisse la fait passer sous cette moyenne, à un niveau que nous avions observé avant le début du mouvement des Gilets jaunes.

Figure 1 : Comme dans l’ensemble des graphiques de cette Note, la bande jaune désigne la période la plus intense des manifestations du mouvement des Gilets jaunes. Les bandes grisées désignent les confinements en France métropolitaine. Le trait vertical pointillé marque le début de la guerre en Ukraine.

Au cours des deux années passées, les mouvements de la satisfaction dans la vie ont suivi ceux du bien-être émotionnel, mesurés dans notre enquête par les questions sur le sentiment d’être heureux ou déprimé. Depuis le début de l’année, les composantes matérielles du bien-être semblent avoir pris le pas.

Nous appuyons cette lecture sur les réponses à la question sur le niveau de vie (Figure 2). Le début de la pandémie avait conduit une partie des Français à ré-évaluer positivement leur niveau de vie, peut-être en changeant l’importance accordée aux différents postes de consommation. Cette appréciation s’est depuis érodée, particulièrement chez les femmes, et connaît une baisse forte sur le dernier trimestre. Dans un contexte d’inflation, cet écart entre homme et femmes reflète des éléments structurels : les femmes seules sont en moyennes moins aisées que les hommes seuls, et en particulier les familles monoparentales.

Figure 2

L’inquiétude quant au niveau de vie vient également obérer l’avenir (Figure 3). Lors de la pandémie, les ménages étaient restés plutôt optimistes sur leur avenir personnel, se projetant dans l’après-confinement et une forme de retour à la normale. Par contraste, la perspective des prochaines années à venir se dégrade depuis la rentrée 2021, et plus particulièrement sur le dernier trimestre. Nous atteignons le deuxième point le plus bas après celui de décembre 2018, en pleine crise des Gilets jaunes.

Figure 3

Dans le même temps, les ménages qui répondent à notre enquête ont le sentiment que leur situation se dégrade non seulement dans l’absolu, mais aussi par rapport à celle des autres Français (Figure 4). Sur cette mesure aussi, beaucoup de ménages avaient le sentiment d’être relativement préservés au début de la pandémie, puis nous étions revenus sur le niveau de long terme. Comme pour le niveau de vie, les femmes ont plus que les hommes le sentiment d’une perte de bien-être par rapport aux autres Français.

Figure 4

Une conjoncture économique inquiétante

Depuis le début de notre enquête, nous mettons en regard nos indicateurs de bien-être avec les indicateurs de conjoncture économique collectés dans la même enquête, en particulier l’indice synthétique de confiance des ménages (Figure 5). Avant la pandémie, cet indice synthétique et la satisfaction dans la vie avançaient de manière assez parallèle. Parmi les déterminants principaux de la satisfaction – le revenu, les relations familiales et amicales, l’environnement – les éléments économiques sont ceux qui évoluent le plus rapidement. Il était donc logique que dans une période relativement stable, ils déterminent largement les évolutions d’un trimestre à l’autre.

Figure 5

Nous avons observé un premier décrochement au moment de l’entrée dans la pandémie, et en fait jusqu’à la fin 2021 : l’anxiété face à la situation sanitaire, mesurée par les indicateurs de bien-être émotionnel, devenait le facteur dominant par rapport à une situation économique qui apparaissait sous contrôle grâce au « quoi qu’il en coûte ». Depuis le début de l’année – et l’invasion russe de l’Ukraine, la confiance des Français dans la situation économique du pays s’est effondrée. Contrairement à l’épisode des Gilets jaunes toutefois, la baisse de la satisfaction dans la vie reste limitée.

L’appréciation des ménages sur la conjoncture économique est nettement plus pessimiste que celle sur leur propre vie, ou leur avenir. Le début de la guerre en Ukraine marque un point d’inflexion sur cette série. Le blocage des chaînes d’approvisionnement venues de Chine pendant la pandémie concernait pour les ménages plutôt des biens durables, dont on peut souvent différer l’achat. Le conflit en Ukraine affecte en revanche l’alimentation et l’énergie, dont la nécessité est quotidienne.

Figure 6

Ces inquiétudes se lisent dans les perceptions de l’inflation (Figure 6). De 2016 (début de notre enquête) à la fin du confinement, une personne sur quatre en moyenne avait le sentiment que les prix avaient beaucoup augmenté, avec un pic autour de la crise des Gilets jaunes. Depuis la fin du confinement, cette part a progressé pratiquement chaque semestre, pour atteindre en septembre près de 75% des réponses – à juste titre au regard des prévisions d’inflation de l’Insee. Dans le même temps, la part des ménages qui pensent que l’inflation va continuer au même rythme ou accélérer, qui était entre la moitié et les deux tiers des réponses jusqu’à fin 2021, a elle aussi atteint des valeurs proches des trois quarts. Les ménages subissent donc non seulement l’impact d’une inflation constatée, mais aussi l’inquiétude que celle-ci se poursuive au moins à l’horizon d’un an.

Des contrastes générationnels

Les augmentations de prix n’affectent pas, nous le savons, tous les ménages de la même manière : le poids des dépenses alimentaires et en carburant est en ce moment déterminant2. De fait, la baisse de la satisfaction à l’égard du niveau de vie est plus marquée chez les ménages dont les revenus sont inférieurs à 3 200 € mensuels (les deux tiers de notre échantillon) que dans le tiers supérieur.

Le plus grand contraste est toutefois générationnel. Qu’il s’agisse de la satisfaction dans la vie en général, du niveau de vie ou des perspectives dans les années à venir, le tiers le plus jeune de notre échantillon (17-45 ans3) est largement le plus affecté par la conjoncture économique. C’est particulièrement visible sur le niveau de vie, où cette classe d’âge enregistre une baisse beaucoup plus marquée que chez ses aînés (Figure 7).

Figure 7

Nous ne pouvons pas savoir dans notre enquête à quel point les ménages sont dépendants de l’automobile pour leurs déplacements. Nous pouvons cependant nous appuyer sur le fait que les habitants des communes rurales et des petites villes ont en moyenne beaucoup plus recours à leur voiture pour leurs déplacements du quotidien4. Ainsi, nous avions remarqué le trimestre dernier une baisse de la satisfaction à l’égard du niveau de vie dans les communes rurales (90% des trajets domicile-travail se font en voiture dans ces zones, Figure 8). Ce trimestre, nous observons la même chose dans les villes de moins de 100 000 habitants, qui combinent un recours nécessaire à la voiture avec une plus grande proportion de ménages peu aisés.

Figure 8

Vivre ailleurs ?

Depuis mars 2022, nous avons ajouté à notre plate-forme une nouvelle question : « Certaines personnes aimeraient vivre dans un autre pays. Et vous, si vous aviez le choix, dans quel pays aimeriez-vous vivre ? (En imaginant que la langue et le fait de voir vos proches ne soient pas des obstacles). ». La réponse est libre, ce qui autorise un large choix de pays et de territoires. L’idée de cette question est de savoir ce qui fait rêver les Français, quel modèle alternatif leur semblerait propice à leur bien-être. Même si nous orientons la question de manière à suggérer un autre pays, 42% des ménages interrogés répondent la France, soit quatre fois plus que le pays étranger le plus souvent cité.

Figure 9

Nous en avions déjà donné un aperçu en mars des autres choix au travers d’un nuage de mots. Nous présentons ce trimestre la liste des pays les plus souvent choisis (Figure 9). Le top 10 est remarquablement stable : En haut de classement, le Canada est plébiscité par les plus jeunes, tandis que les pays d’Europe du Sud séduisent plutôt les générations plus âgées. Le Japon présent en mars, est sorti en juin, au profit de l’Allemagne. Les huit autres pays sont restés présents sur les trois vagues. Nous vous présenterons prochainement une analyse plus détaillée dans une Note dédiée.

Et les émotions ? Une mesure du sentiment sur Twitter

Le 22 septembre dernier, nous avons présenté un nouvel outil de mesure du bien-être des Français. En analysant le texte des messages postés sur le site de microblogging Twitter, nous extrayons un ensemble d’indicateurs de sentiments à haute fréquence. Cette mesure vient ainsi compléter nos données d’enquêtes trimestrielles.

Figure 10

Parmi les personnes utilisant Twitter, les émotions négatives – colère, peur ou tristesse – restent à un niveau plus élevé que celui d’avant la pandémie (Figure 10). Les expressions de joie progressent depuis la fin des confinements, mais restent également à un niveau plus faible qu’avant.

L’indicateur de sentiment d’ensemble, que vous pouvez retrouver sur le Baromètre en ligne, reste assez stable. Sur des données complètements différentes de celles ayant servi à nos travaux antérieurs5, il confirme que l’expression des émotions est assez nettement polarisée en France : les personnes qui suivent des comptes de partis ou de personnalités politiques aux extrêmes du spectre politique expriment des sentiments plus négatifs que celles qui suivent des comptes plus au centre (Figure 11).

Figure 11

Conclusion

Les inquiétudes économiques occupent à nouveau les esprits. Le lien est clair entre l’exposition à l’inflation et la perte de satisfaction à l’égard du niveau de vie. Alors qu’au trimestre dernier, une partie des ménages interrogés pensaient que le pire était passé, le pessimisme économique est aujourd’hui largement partagé, et pèse sur les représentations de ce que sera la vie en France dans les années à venir.

Bibliographie

Algan, Yann, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, et Martial Foucault. 2019. Les origines du populisme: enquête sur un schisme politique et social. Paris, France: Seuil.

Brutel, Chantal, et Jeanne Pages. 2021. « La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances – Insee Première – 1835 ». Insee Première 1835. Paris: Insee. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5013868.

Prati, Alberto. 2022. « The well-being cost of inflation inequalities ». 1870. CEPR Discussion Paper. https://cep.lse.ac.uk/pubs/download/dp1870.pdf.

Septembre 2022
Dimension

Réponse moyenne
(0 à 10)
Grandes dimensions**20212022
↗↘→
SeptJuinSept
Satisfaction de vie↘→6,76,66,5
Sens de la vie→→7,07,27,1
Bonheur→→7,17,07,0
Anxiété et dépression*→→1,92,02,0
Santé→→6,96,86,9
Niveau de vie↘→6,76,56,4
Comparaison avec les autres→→6,66,66,5
Année dernière↗→5,96,26,3
Perception de l’avenir



Vie future (personnelle)↘↘6,05,85,5
Prochaine génération France→→3,93,93,9
Prochaine génération Europe→→4,14,14,0
Proches et environnement



Relations avec les proches→→8,28,28,1
Gens sur qui compter→→7,77,67,5
Sentiment de sécurité→↘7,27,37,1
Travail et temps de vie



Satisfaction au travail→→7,17,17,1
Relations de travail→→7,17,07,1
Équilibre des temps de vie→→5,86,06,0
Temps libre→↘6,66,76,6

Tableau 1: Les flèches indiquent les améliorations ou dégradations par rapport au même mois l’année précédente. Les flèches grises indiquent que la variation n’est pas significative au seuil de 5 %.
* Pour l’anxiété, un score plus haut indique un niveau d’anxiété ou d’agression plus élevé
** La première flèche indique l’évolution par rapport à l’année précédente, la deuxième flèche l’évolution par rapport au trimestre précédent

  1. Comme chaque trimestre, notre Tableau de bord vous présente les réponses aux 20 questions de notre plate-forme, détaillées selon l’âge, le genre, le niveau de diplôme ou le revenu.
  2. Le récent travail (Prati 2022), qui utilise les données de cette enquête, montre que les inégalités d’exposition à l’inflation ont des conséquences sur le bien-être même pendant les périodes de faible inflation. On peut penser que ces inégalités sont encore plus fortes aujourd’hui, avec une inflation qui porte largement sur des biens essentiels.
  3. Par construction, l’échantillon Camme compte peu de ménages jeunes. Nos classes d’âge sont construites de manière à avoir trois groupes d’effectif à peu près similaire, soit un tiers de l’échantillon.
  4. (Brutel et Pages 2021).
  5. Voir en particulier (Algan et al. 2019).