Alors que les lycéennes et lycéens traversent un âge critique pour leur bien-être futur, et qu’il s’agit d’une génération qui a connu confinements et réformes, le bien-être de ces jeunes reste mal connu. Nous sommes par conséquent heureux d’avoir accompagné Régions de France dans une enquête unique au printemps dernier.
Les premiers résultats peignent une génération au bien-être émotionnel et à la confiance fragile, avec de forts écarts entre jeunes hommes et jeunes femmes. L’avenir collectif cristallise les inquiétudes, dans l’ombre d’une éco-anxiété fréquente et du sentiment que l’enseignement reçu les prépare insuffisamment à leur vie future.
Pour beaucoup, l’avenir individuel s’inscrit ailleurs, un tiers souhaitant vivre à l’étranger dans dix ans. Ceux et celles qui pensent rester en France se projettent volontiers vers un espace plus dense que celui habité actuellement : pas d’aspiration à un exode massif vers les villes, mais un mouvement continu d’un échelon à l’autre.
Cette première vague met ainsi en évidence un désir de mobilité qui se heurte en pratique à la crise générale du logement dans les centres urbains et à la faiblesse de l’offre de logements étudiants qui pourraient permettre de répondre à ce désir d’ailleurs, y compris au sein de son territoire d’origine.
Le groupe « Prospective et connaissance territoriales » de Régions de France a également publié sa propre analyse de l’enquête, réalisée en partenariat avec nous :
Groupe « Prospective et connaissance territoriales » de Régions de France. « Bien-être des lycéens : Enquête de Régions de France – Observatoire du Bien-être ». Les notes de Régions de France. Paris: Régions de France, janvier 2025. https://regions-france.org/bien-etre-des-lyceens-enquete-de-regions-de-france-observatoire-du-bien-etre/.
Nous remercions Régions de France, qui nous a associés à cette initiative, ainsi qu’Olivier Bouba-Olga qui en est à l’origine, ainsi que Delphine Libaros.
Mathieu Perona, Observatoire du Bien-être du Cepremap
Publié le 27/01/2025
Les jeunes de 15 à 18 ans actuellement au lycée ont subi des bouleversements majeurs dans leurs parcours : les confinements du Covid-19, pendant leurs années de fin d’école primaire ou de début de collège, les heurts de l’organisation du lycée suite aux incessantes réformes, et la lame de fond du dérèglement climatique et l’anxiété qui l’accompagne, en particulier lorsqu’on est encore trop jeune pour pouvoir réagir. Alors qu’il s’agit d’un âge critique – une grande enquête longitudinale a montré que le bien-être à 16 ans est le meilleur prédicteur du bien-être à l’âge adulte1 – nous en savons peu sur les conséquences de ces bouleversements sur ces jeunes.
La statistique publique appréhende leur bien-être au prisme du seul environnement scolaire, au travers des enquêtes de climat scolaire et de victimisation de la DEPP, et de l’enquête internationale PISA, plus connue pour son évaluation des performances que pour son volet sur le bien-être.
C’est donc avec enthousiasme que nous avons répondu à la proposition de Région de France de contribuer à créer une enquête originale sur le bien-être et les aspirations des jeunes, qui a été diffusée – inégalement selon les régions – auprès des élèves des lycées. Cette première approche révèle une génération qui partage avec ses aînés une certaine satisfaction quant à sa situation actuelle et à ses perspectives au niveau individuel, mais aussi un fort pessimisme quant à l’avenir collectif ou de plus long terme. Parmi ces jeunes, les clivages de bien-être tiennent plus au genre et à l’origine sociale qu’au territoire d’habitation. Si ce dernier ne fait pas l’objet d’un rejet immédiat, le niveau de satisfaction quant au lieu où ils habitent est assez élevé, il ne constitue pas un horizon de projection : la plupart des jeunes interrogés se voient vivre, à un horizon de dix ans, à l’étranger ou dans une autre région.
Connaître le bien-être des lycéennes et lycéens
En collaboration avec Régions de France et les services statistiques d’une dizaine de régions, nous avons élaboré un questionnaire dont la diffusion a été proposée, sur la base du volontariat, à toutes les régions de France métropolitaine, ainsi qu’aux collectivités d’outre-mer. Certaines régions de sont saisies avec enthousiasme de cette démarche, diffusant le lien du questionnaire à chaque lycéenne et lycéens de la région via les environnements numériques de travail (ENT)2. D’autres ont été plus circonspectes — l’enquête arrivant dans un calendrier politique chargé — et n’ont diffusé l’annonce que sur les réseaux sociaux, voire pas du tout. Sur les près de 8 500 réponses recueillies, la plupart proviennent de quatre régions : Nouvelle-Aquitaine (21 %), Île-de-France (16 %), Pays de la Loire (16 %) et Centre-Val-de-Loire (15 %). Il ne s’agit donc en aucun cas d’un échantillon représentatif, mais nous le pensons néanmoins révélateur des grandes tendances qui traversent cette classe d’âge.
Une génération au bien-être fragile
Les lycéennes et lycéens sont pratiquement aussi satisfaits de leur vie en général que le sont les adultes interrogés à la même période lors de l’enquête de conjoncture auprès des ménages (Figure 1)3.

La situation est moins favorable du côté du bien-être émotionnel, les jeunes interrogés se déclarant moins souvent heureux, et surtout nettement plus souvent déprimés la veille. Les relations sociales constituent un autre point de fragilité : les relations avec la famille (7,3 sur lune échelle de 0 à 10) et avec les amis (7,1) sont en retrait par rapport à la satisfaction des adultes quant aux relations avec leurs proches (8,1).
Les jeunes interrogés déclarent également un faible niveau de confiance envers les gens qu’ils ne connaissent pas (3,1) et une faible confiance en eux (5,4). Au-delà des fragilités connues d’un âge où se construisent tant la personnalité que les relations sociales, la vie des lycéennes et lycéens est caractérisée par la contrainte, celle de leur emploi du temps et des devoirs, qui emportent un fort sentiment de manque de temps libre.
Une jeunesse inquiète face à son avenir
Comme leurs aînés, les jeunes sont prudemment optimistes quant à leurs perspectives individuelles : ils évaluent leur avenir à dix ans à peu près au même niveau que leur vie actuelle. Ils sont en revanche, pessimistes quant au destin de leur propre génération, encore plus que ce qu’estiment leurs aînés — prolongeant ici un constat que nous avions fait chez les adultes, les plus âgés étant en moyenne plus optimistes sur les perspectives de la prochaine génération4.
À l’échelle individuelle, le contexte scolaire ne constitue un appui que pour une minorité : seuls 39 % estiment que ce qu’ils ont appris au cours de leur scolarité est plutôt ou tout à fait utile pour leur vie future (et 21 % pour leur vie immédiate). Une large part de l’optimisme à l’échelle individuelle repose donc sur la conviction de s’en sortir indépendamment des acquis scolaires. À l’échelle collective, un tiers des jeunes estiment tout à fait ou plutôt ressentir de l’éco-anxiété. Cette dernière constitue la partie émergée de la conscience des conséquences du changement climatique, puisqu’il s’agit du moment où la conjonction de cette conscience et d’un sentiment d’impuissance génère de l’angoisse chez les jeunes.
Un clivage de genres
La fragilité du bien-être touche particulièrement les jeunes femmes. Elles déclarent un niveau de satisfaction ou de confiance plus faible que celle des jeunes hommes dans toutes les dimensions du bien-être couvertes par l’enquête. Moins satisfaites de leur vie, moins heureuses, plus souvent déprimées, elles évaluent plus négativement leurs relations avec leurs amis et leur famille, ont moins confiance dans les inconnus et se sentent moins en sécurité. C’est pour la confiance en soi, très nettement plus faible chez les jeunes femmes, et le sentiment de solitude, beaucoup plus fréquent, que la différence entre garçons et filles est la plus marquée (Figure 2).

Les résultats apparaissent encore plus défavorables pour un autre groupe de jeunes que pour les jeunes femmes, mettant en évidence un malaise des jeunes non-binaires. 5 % des jeunes interrogés ont indiqué préférer ne pas préciser leur genre. En l’absence d’informations sur les motivations de ce choix, nous pouvons faire l’hypothèse qu’il s’agit, au moins en partie, de personnes non-binaires, ne se reconnaissant pas comme strictement femme ou strictement homme. Malgré le faible nombre de réponses en proportion de l’échantillon, le bien-être des personnes qui ont choisi cette option de genre est significativement inférieur à celui des personnes qui s’identifient dans la binarité, et ce sur toutes les dimensions approchées dans l’enquête. Avec un écart d’un point sur la satisfaction dans la vie et près d’un quart des réponses entre 0 et 3 sur l’échelle de 0 à 10 (contre 10 % des réponses chez les autres jeunes), ce groupe apparaît en souffrance. Ce d’autant plus que la famille ne semble pas toujours constituer un environnement protecteur (les relations familiales sont jugées moins satisfaisantes par ces jeunes).
Le poids de l’origine sociale
Les écarts de bien-être entre catégories sociales que l’on observe chez les adultes5 se retrouvent chez les lycéennes et lycéens : les enfants d’employés, de retraités et d’ouvriers sont en moyenne moins heureux, moins satisfaits de leur lieu de résidence, de leur temps libre ou de leurs relations familiales6.
Ces différences sont toutefois secondaires au regard du poids de l’inactivité professionnelle : les jeunes indiquant que l’un ou l’autre de leur parents est sans activité professionnelle déclarent des niveaux de bien-être inférieurs à ceux de leurs pairs dans la quasi-totalité des dimensions. Le mal-être actuel pèse également sur leurs perspectives futures, qu’ils jugent plus sombres que celles de leurs camarades. La recherche ne leur donne d’ailleurs pas tort : l’enquête précédemment citée, sur une cohorte britannique née en 1991-1992 et suivie jusqu’à aujourd’hui7, montre que l’existence de période de chômage (des pères) réduit toutes choses égales par ailleurs le revenu moyen à l’âge adulte.
Jeunes d’ici, envie d’ailleurs
L’appréhension de leur lieu de vie par les jeunes présente des décalages marqués avec la densité objective de leur commune. Ainsi, seul un quart des jeunes résidant dans une commune très dense8 déclarent habiter dans une grande ville ou une très grande ville. Ils estiment plutôt à se considérer comme venant d’une ville moyenne (52 %), voir d’une petite ville (20 %). À l’inverse, pratiquement un tiers des jeunes résidant dans une commune peu dense déclare vivre dans une petite ville ou une ville moyenne (Tableau 1).
Tableau 1 : Densité des communes et type de lieu de vie déclarée.
Lecture : 14 % des répondantes et répondants déclarent habiter dans un village isolé. Parmi celles qui résident dans des communes classées par l’Insee comme de faible densité, 25 % disent habiter dans un village isolé.
Densité Insee | ||||
---|---|---|---|---|
Lieu de vie ressenti | Faible | Intermédiaire | Forte | Total |
Village isolé | 25% | 6% | 2% | 14% |
Village proche d’une ville | 42% | 24% | 4% | 8% |
Petite ville | 23% | 34% | 18% | 24% |
Ville moyenne | 9% | 34% | 52% | 26% |
Grande ville | 1% | 3% | 18% | 6% |
Très grande ville | 0% | 0% | 7% | 2% |
Total | 100% | 100% | 100% | 100% |
Ce décalage repose sur un ensemble cohérent de perception quand aux caractéristiques du lieu d’habitation : la satisfaction quant aux services offerts par le lieu de résidence (culture, loisirs, etc.), le sentiment de sécurité dans son quartier ou dans les déplacements, mais aussi les temps de trajet pour aller au lycée sont plus fortement liés au type de lieu de vie déclaré qu’à la densité objective de la commune.
Dans leur grande majorité, les lycéennes et lycéens imaginent vivre, à un horizon de dix ans, dans une autre commune que leur commune de résidence. Ils ne sont que 41 % à estimer que leur territoire est plutôt ou tout-à-fait un atout pour réaliser leur projets futurs. A contrario, un tiers déclarent vouloir vivre à l’étranger à cette échéance, 30 % dans une autre région, et 22 % dans une autre commune de la même région. Indépendamment du pays ou de la région, les villes attirent. Les grandes villes n’abritent que 5 % des répondantes et répondants à l’enquête, mais 20 % des lieux où les jeunes se projettent à dix ans (et 8 % pour les très grandes villes). Inversement, la part des jeunes qui anticipent de vivre dans une petite ville ou un village est plus faible que la part qui déclare y résider actuellement. Il ne s’agit pour autant pas d’un exode massif (anticipé) vers les métropoles, mais plutôt un phénomène progressif (Figure 3).

Figure 3
Lecture : Parmi les jeunes habitant un village isolé, 17 % se voient habiter un village isolé dans dix ans.
Dans la plupart des territoires – sauf les villages isolés et les petites villes – les jeunes se projettent d’abord dans le même type de territoire à dix ans (entre 30 % et 40 % des réponses). Lorsqu’ils se projettent ailleurs, c’est le plus souvent en premier lieu vers la taille immédiatement supérieure : les villages proches d’une ville chez les habitants de villages isolés, une grande ville chez les habitants d’une ville moyenne, etc.
Préparer le bien-être et l’avenir de la jeunesse
Cette première enquête – nous espérons qu’il ne s’agit que d’un premier volet – met en lumière un bien-être fragile chez les lycéennes et les lycéens. Certains constats correspondant à des éléments connus, comme le manque de confiance en soi, ou l’écart entre filles et garçons, mais sur lesquels l’action publique reste trop limitée. D’autres, comme le pessimisme quant à l’avenir collectif, rejoignent les préoccupations des adultes, sans que le sujet ne parvienne à se faire une vraie place dans un débat public qui reste arrimé à des enjeux de court terme.
La dimension territoriale révèle un angle mort des outils de compréhension du territoire : plus que la typologie objective des communes, c’est le territoire vécu, dans son sentiment de densité de population et de services, qui joue sur la satisfaction des jeunes – avec probablement une pluralité d’attente, puisque nous n’observons pas d’avantage important en faveur des villes, et encore moins des grandes métropoles. La conception de l’aménagement du territoire gagnerait donc à s’enrichir de cette vision subjective de l’espace et de ses promesses. L’aspiration à la mobilité met aussi au premier plan les multiples défaillances de la politique publique à cet égard : la première mobilité à venir pour les lycéens est celle vers les établissements d’enseignement supérieur. Or, la pénurie de logement abordables et l’indigence – souvent tant qualitative que quantitative, on se souvent de ces résidences CROUS hâtivement rénovées lorsque les policiers mobilisés pour les JO de Paris 2024 ont refusé d’y loger – des résidences étudiantes publiques fait du logement une contrainte majeure dans les choix d’études et de projection dans l’avenir, y compris aujourd’hui pour les enfants des classes moyennes.
Nous invitons donc les acteurs publics à prendre au sérieux le bien-être et les aspirations à cet âge critique, en commençant par la mise en place d’une mesure et d’un suivi régulier.
Bibliographie
d’Albis, H., Perona, M. et Senik, C., 2023, Les âges du bien-être, Paris https://www.cepremap.fr/2023/11/note-de-lobservatoire-du-bien-etre-n2023-14-les-ages-du-bien-etre/.
Clark, A., Flèche, S., Layard, R., Powdthavee, N. et Ward, G., 2018, The Origins of Happiness, Princeton.
Perona, M., 2023, Le bien‑être subjectif, une question de classes sociales ?, France, Portrait social, Paris https://www.insee.fr/fr/statistiques/7666897?sommaire=7666953.
9- Andrew Clark et al., The Origins of Happiness (Princeton: Princeton Unversity Press, 2018).
- Cette vision à l’échelle des régions explique que nous nous intéressons ici aux lycéens et lycéennes, les lycées étant du ressort des régions. À l’avenir, nous espérons naturellement parvenir à interroger également les jeunes en apprentissage, ainsi que ceux et celles déjà hors du système scolaire.
- Enquête Camme, vague de juin 2024, plate-forme « Bien-être « , Insee/Cepremap.
- Hippolyte d’Albis, Mathieu Perona, et Claudia Senik, « Les âges du bien-être », Notes de l’Observatoire du bien-être (Paris: CEPREMAP, 20 novembre 2023), https://www.cepremap.fr/2023/11/note-de-lobservatoire-du-bien-etre-n2023-14-les-ages-du-bien-etre/.
- Mathieu Perona, « Le bien‑être subjectif, une question de classes sociales ? », in France, Portrait social, Insee Références (Paris: Insee, 2023), https://www.insee.fr/fr/statistiques/7666897?sommaire=7666953.
- Ce résultat est remarquable dans la mesure où la classification par les lycéennes et lycéens de la catégorie socio-professionnelle de leurs parents est souvent imparfaite, ainsi que l’ont montré des analyses au moment de la journée Défense et Citoyenneté.
- Clark et al., The Origins of Happiness.
- Au sens de la grille communale de densité de l’Insee.