Renouer le contact avec la nature

Note
Observatoire du bien-ĂŞtre

En partenariat avec Réserves naturelles de France (RNF), nous avons mené une enquête auprès des personnes fréquentant les réserves naturelles portant sur leur perception des réserves et sur leur sentiment de contact avec la nature – sentiment dont la recherche souligne l’importance dans la relation entre espaces naturels et bien-être. L’échantillon de l’enquête, plus féminin et diplômé que la moyenne des Français, montre une bonne connaissance des réserves, et y pratique des activités n’entrant que peu en conflit avec les missions essentielles de ces dernières – la préservation d’espaces de biodiversité. Les réserves sont ainsi perçues comme apportant une plus-value d’abord écologique à leur territoire d’implantation, au prix de contraintes qui, lorsqu’elles sont ressenties, sont souvent perçues comme légitimes.

Ce public déclare un sentiment de bien-être un peu plus élevé que la moyenne, et un fort sentiment de contact avec la nature. Au sein de cette population nous sommes en mesure d’estimer une contribution positive du sentiment de contact avec la nature sur les quatre grandes dimensions du bien-être subjectif, positionnant ce sentiment de contact comme un facteur fondamental de bien-être chez ces personnes. Les réserves naturelles fournissent ainsi un gain substantiel de bien-être en plus et au-delà de leurs fonctions écosystémiques.

Mathieu Perona, Observatoire du Bien-ĂŞtre du Cepremap

Publié le 10 décembre 2024

Cette note propose une synthèse du rapport remis Ă  RNF Ă  l’automne 2024 suite Ă  l’enquĂŞte, et disponible sur notre site :
Perona, M., 2024, Renouer le contact avec la nature, Paris https://www.cepremap.fr/publications/12095/.

Introduction

Dans notre parcours des relations entre bien-être et changement climatique1, nous avions mis en lumière la contribution des espaces verts et du contact avec la nature comme facteurs du bien-être subjectif – avec comme condition centrale l’existence ou la construction d’un sentiment de lien avec la nature2. L’examen de l’environnement sonore nous a également fait relever une sensibilité aux signes de biodiversité dans notre environnement3.

Pendant que nous menions ces recherches, Réserves Naturelles de France4(RNF) nous a demandé de l’accompagner dans une démarche d’exploration de la contribution des réserves au bien-être. Bien évidemment, contribuer au bien-être n’est pas la mission central des réserves, qui sont avant tout dédiées à la préservation de la biodiversité et d’environnements fragiles. Toutefois, mettre en évidence un bénéfice pour les riverains et visiteurs peut constituer un élément clef pour que les contraintes découlant de cette mission de préservation soient bien acceptées.

En collaboration avec RNF, nous avons donc élaboré une enquête pour mieux connaître les perceptions et le bien-être des personnes qui fréquentent les réserves naturelles ou qui vivent à proximité. Nous avons formulé les questions pour qu’elles ne portent pas sur les réserves naturelles en général, mais sur chaque réserve diffusant le questionnaire.

L’enquête

Les rĂ©serves volontaires ont diffusĂ© notre questionnaire auprès de leur listes de diffusion, par des affichages et auprès de leurs partenaires locaux. Il ne s’agit donc pas d’un Ă©chantillon reprĂ©sentatif des Français, ni mĂŞme des personnes frĂ©quentant les rĂ©serves : certaines rĂ©serves ont Ă©tĂ© plus actives et ont obtenu plus de rĂ©ponses, Ă  l’image de la RĂ©serve naturelle rĂ©gionale du Ried de SĂ©lestat l’Ill*Wald (Alsace), qui reprĂ©sente Ă  elle seule 230 rĂ©ponses, soit 16 % de l’échantillon (1 483 rĂ©ponses exploitables, sur 44 rĂ©serves).

De fait, les rĂ©pondants sont surtout des rĂ©pondantes (43 % de femmes contre 29 % d’hommes parmi les personnes ayant renseignĂ© un genre), avec une sur-reprĂ©sentation de la classe d’âge des 30-59 ans. Cette population est en moyenne beaucoup plus diplĂ´mĂ©e que la moyenne française (40 % de titulaires d’un master ou d’un doctorat). Socialement, les grandes classes sociales sont bien reprĂ©sentĂ©es, Ă  une exception majeure : les ouvriers, qui ne reprĂ©sentent que 2 % des rĂ©ponses, alors qu’ils sont 19 % de la population6. En lien avec ce profil socio-dĂ©mographique, il s’agit aussi de personnes plus prĂ©occupĂ©es d’environnement que la moyenne des Français, mais aussi des question sociales (chĂ´mage, pauvretĂ©), et moins des questions de sĂ©curitĂ©.

La réserve, une structure connue mais avec des zones d’ombre

La grande majoritĂ© des rĂ©pondantes et rĂ©pondants identifient bien les fonctions des rĂ©serves : des aires protĂ©gĂ©es et de conservation de la biodiversitĂ©, et pas des espaces de loisir et encore moins des zones fermĂ©es. Il y a plus d’ambiguĂŻtĂ© sur d’autres caractĂ©ristiques, qui rĂ©vèlent le flou dans la perception des espaces protĂ©gĂ©s. Ainsi, les rĂ©ponses sont partagĂ©es quand on demande s’il s’agit d’un espace de repos pour la faune sauvage – Ă  juste titre, puisque la chasse ou la pĂŞche sont autorisĂ©es dans la plupart des rĂ©serves, de mĂŞme qu’un grand nombre d’autres activitĂ©s susceptibles de perturber les animaux.

Dans l’ensemble, les rĂ©pondantes et rĂ©pondants ont un avis positif quant Ă  l’existence de la rĂ©serve – ce qui n’était pas une Ă©vidence, puisque la diffusion large du questionnaire aurait pu rĂ©vĂ©ler la prĂ©sence de groupes fortement opposĂ©s localement. Les plus-values perçues liĂ©es Ă  la prĂ©sence des rĂ©serves sont bien alignĂ©es avec les missions de ces dernières : la protection de l’environnement et la connaissance de la nature viennent largement en tĂŞte, tandis que les dimensions touristique, de loisir ou Ă©conomique ne sont que marginalement citĂ©es. Les rĂ©serves Ă©chappent ainsi en partie aux dilemme des grandes destinations patrimoniales, comme Venise, qui doivent arbitrer entre revenus touristiques et prĂ©servation.

Cette opinion positive va de pair avec le sentiment d’une absence de contraintes liĂ©es Ă  l’existence de la rĂ©serve – 60 % des rĂ©ponses. Un quart des rĂ©ponses fait Ă©tat de contraintes, liĂ©es aux interdictions, Ă  la rĂ©glementation des usages, avec un nombre significatif de personnes utilisant un champ libre pour indiquer trouver lĂ©gitimes ces contraintes.

En termes d’usages, les réserves sont d’abord des lieux de visite libre, de randonnée et d’observations naturalistes. Là encore, nous observons un bon alignement entre les missions des réserves et les activités pratiquées. Les activités du type bain de forêt, land art, méditation ou yoga, dont l’opportunité interroge plus les gestionnaires de réserve, sont minoritaires.

Bien-ĂŞtre et contact avec la nature

Comme le laissait prĂ©sager leur profil socio-dĂ©mographiques, les personnes interrogĂ©es dĂ©clarent un bien-ĂŞtre moyen supĂ©rieur au niveau moyen en France (Figure 1). C’est particulièrement le cas sur le sentiment d’avoir Ă©tĂ© heureux la veille et sur la satisfaction dans la vie.

Contrairement au bien-ĂŞtre subjectif, pour lequel il existe des formulations de rĂ©fĂ©rence pour les dimensions essentielles5, il n’existe pas encore d’échelle de rĂ©fĂ©rence pour le contact avec la nature. Pour les besoins de cette enquĂŞte, nous avons adaptĂ© un index reposant sur six questions6, chacune correspondant Ă  un mode de relation Ă©motionnel avec la nature – sentiment d’appartenance, respect, Ă©merveillement, etc. – identifiĂ© par la recherche comme ayant un effet sur le bien-ĂŞtre subjectif, tout en Ă©tant assez distinct des cinq autres :

  • Je trouve toujours que la nature est belle ;
  • Je traite toujours la nature avec respect ;
  • ĂŠtre dans la nature me rend heureux/heureuse ;
  • Passer du temps dans la nature est important pour moi
  • Je trouve qu’être dans la nature est vraiment gĂ©nial ;
  • Je me sens faire partie de la nature.

Chacune de ces six questions admet sept rĂ©ponses possibles, allant de « Tout-Ă -fait d’accord Â» Ă  « Pas du tout d’accord Â».

L’échantillon Ă©tant formĂ© de personnes du premier cercle des rĂ©serves, il n’est pas Ă©tonnant que la modalitĂ© « Tout-Ă -fait d’accord Â» domine largement cinq des six questions (Figure 2). Tout en restant dans le domaine d’une adhĂ©sion claire, la question sur le sentiment de faire partie de la nature interroge plus les reprĂ©sentations. Elle traduit, au sein d’une population pourtant très sensibilisĂ©e, un sentiment de coupure partielle, de distance avec la nature, qui met sans doute aussi en relief le caractère spĂ©cifique de l’espace des rĂ©serves, associĂ© Ă  une « vraie Â» nature.

Sur chacune des six dimensions, les hommes utilisent moins souvent que les femmes la modalitĂ© « Tout-Ă -fait d’accord Â», la plus frĂ©quente. Nous observons peu de diffĂ©rences entre classes d’âge, si ce n’est dans le sentiment de faire partie de la nature, moins frĂ©quent chez les moins de 40 ans, ni d’écart entre les catĂ©gories sociales les mieux reprĂ©sentĂ©es (indĂ©pendants, employĂ©s professions intermĂ©diaires et cadres).

Afin de rassembler les rĂ©ponses Ă  ces six questions en une seule dimension, nous construisons un score par l’affectation de pondĂ©rations Ă  chacune des modalitĂ©s de rĂ©ponse (voir Tableau 1, en annexe). Le score varie ainsi d’un minimum de 0, pour quelqu’un qui aurait rĂ©pondu « Pas du tout d’accord Â» Ă  chaque question, Ă  100, pour quelqu’un qui aurait rĂ©pondu « Tout-Ă -fait d’accord Â» partout. Une part significative (31 %) des rĂ©ponses correspond Ă  ce score maximal, la quasi-totalitĂ© des autres s’échelonnant entre 50 et 97.

Cette distribution contraste avec celle donnée par l’échantillon représentatif utilisé pour la construction de l’index, où les réponses s’étageaient de manière équilibrée de 0 à 100. Nous sommes donc en présence d’une population présentant un fort sentiment de contact avec la nature – et a contrario, cela révèle que la communication des réserves ne touche que très peu les personnes ayant un faible sentiment de contact personnel avec la nature.

Un des objectifs de cette enquĂŞte Ă©tait de tester la relation Ă©voquĂ©e en introduction entre le sentiment de contact avec la nature et le bien-ĂŞtre. Du fait de la construction de l’enquĂŞte, nous nous trouvons dans une configuration exigeante : les niveaux de bien-ĂŞtre sont relativement Ă©levĂ©s, ce qui rĂ©duit les contrastes, et surtout la distribution de l’index de contact avec la nature est très concentrĂ©e sur les rĂ©ponses Ă©levĂ©es : nous allons donc en substance estimer l’effet de diffĂ©rences relativement faibles, et au sommet de l’échelle de l’index. Pour autant, le raisonnement « toutes choses Ă©gales par ailleurs Â» fait apparaĂ®tre des diffĂ©rences significatives sur chacune des quatre grandes dimensions du bien-ĂŞtre : les personnes ayant un index de contact avec la nature plus Ă©levĂ© indiquent, Ă  profil socio-dĂ©mographique comparable, un niveau de bien-ĂŞtre subjectif lui aussi plus Ă©levĂ©.

La valeur absolue des coefficients associĂ©s Ă  l’index de contact avec la nature (Figure 3) peut paraĂ®tre faible, mais il faut se rappeler que l’indice varie entre 0 et 100, et que le passage de« D’accord Â» Ă  « Tout-Ă -fait d’accord Â» Ă  la question « Je me sens faire partie de la nature Â» correspond Ă  une augmentation de 10 points de l’index, soit 0,1 point en termes de satisfaction dans la vie. Su ce type d’échelle, il s’agit d’un Ă©cart significatif, comparable Ă  celui sĂ©parant en moyenne plusieurs dĂ©ciles de niveau de vie.

Si la taille réduite de l’échantillon ne permet pas de pousser beaucoup plus loin l’analyse, il faut remarquer la cohérence du lien entre l’index de sentiment de contact avec la nature d’une variable de bien-être à l’autre. Les éléments socio-démographiques ont souvent des effets contrastés. Le revenu, par exemple, contribue plus fortement à la satisfaction dans la vie qu’au sentiment d’avoir été heureux ou au sentiment de sens. Ici, au contraire, nous sommes face à un effet identique dans sa direction – un sentiment de contact avec la nature s’accompagne d’un bien-être subjectif plus élevé, et assez homogène dans l’amplitude de son impact. Cette influence partagée du sentiment de proximité avec la nature le désigne comme un facteur fondamental du bien-être au sein de cette population. Par extension, cela pointe une contribution substantielle des réserves naturelles au bien-être, en plus et au-delà des services écosystémiques qui constituent leur raison d’être.

Un chantier Ă  ouvrir

Cette enquête constitue à tous égard un travail très exploratoire, dont les premiers objectifs étaient de mieux connaître le public des réserves et de tester en France la relation entre le sentiment de contact avec la nature et le bien-être. Ce dernier résultat tient, au moins au sein d’un public déjà sensibilisé et fréquentant les réserves naturelles. Nous démontrons ainsi la capacité des indicateurs de bien-être subjectifs à mettre à évidence un apport diffus, difficilement mesurable par ailleurs, d’une structure de préservation de l’environnement. Un enjeu désormais sera d’élargir l’échantillon afin de savoir si cette relation existe, et avec une force comparable, au sein de groupes moins familiers des espaces naturels protégés. Avec RNF, nous entendons ainsi poursuivre ce chantier au travers de nouvelles enquêtes, mais aussi d’analyses d’impact des initiatives des réserves – animations, activités pédagogiques – et des projets de création de nouvelles réserves.

Bibliographie

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  1. Perona, M., 2022, De l’éco-anxiété à la transition heureuse ?, Paris https://www.cepremap.fr/2022/06/note-de-lobservatoire-du-bien-etre-n2022-09-de-leco-anxiete-a-la-transition-heureuse/.
  2. Wendelboe-Nelson, C., Kelly, S., Kennedy, M. et Cherrie, J. W., 2019, A Scoping Review Mapping Research on Green Space and Associated Mental Health Benefits, Int J Environ Res Public Health, 16, p. 2081 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6616579/ (consulté le 15 juin 2022).
  3. Ambrey, C. L. et Fleming, C. M., 2014, Valuing Ecosystem Diversity in South East Queensland: A Life Satisfaction Approach, Soc Indic Res, 115, p. 45‑65 https://doi.org/10.1007/s11205-012-0208-4 (consulté le 15 juin 2022)., Jones, B. A., 2020, Happiness and forest-attacking invasive alien species, Chapters, p. 144‑163 https://ideas.repec.org/h/elg/eechap/18339_8.html (consulté le 15 juin 2022), Methorst, J., Rehdanz, K., Mueller, T., Hansjürgens, B., Bonn, A. et Böhning-Gaese, K., 2021, The importance of species diversity for human well-being in Europe, Ecological Economics, 181, p. 106917 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800920322084 (consulté le 15 juin 2022).
  4. Créée en 1982, RNF est la structure qui fédère les réserves naturelles sur le territoire français.
  5. OCDE, 2013, OECD guidelines on measuring subjective well-being https://www.oecd-ilibrary.org/content/publication/9789264191655-en.
  6. Richardson, M., Hunt, A., Hinds, J., Bragg, R., Fido, D., Petronzi, D., Barbett, L., Clitherow, T. et White, M., 2019, A Measure of Nature Connectedness for Children and Adults: Validation, Performance, and Insights, Sustainability, 11, p. 3250 https://www.mdpi.com/2071-1050/11/12/3250 (consulté le 8 juillet 2022).