Note de l’Observatoire du Bien-être n°2020-05 : Le Bien-être des Français – Mars 2020

Réalisée début mars, notre enquête trimestrielle sur le bien-être en France donne l’image d’une population encore peu inquiète des conséquences d’une épidémie qui ne semblait alors toucher que la Chine et l’Italie. Les répondants avaient alors une opinion plutôt positive de leur situation et de leurs perspectives individuelles. Leur opinion négative quant à l’avenir du pays dans son ensemble et leur moral au quotidien plutôt en berne ne faisaient que poursuivre un mouvement installé sur l’ensemble de l’année, qui devait donc probablement peu à l’épidémie.

Ce tableau de bord peut donc être lu comme un point de départ d’avant le confinement, auquel nous comparerons les évolutions dans les prochaines vagues.

Auteur

Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Tableau de bord

Ce tableau de la France en mars 2020 prend naturellement une signification particulière. Les réponses à l’enquête de conjoncture ont été collectées du 26 février au 17 mars, soit les quinze jours précédant la mise en place du confinement.e tableau de la France en mars 2020 prend naturellement une signification particulière. Les réponses à l’enquête de conjoncture ont été collectées du 26 février au 17 mars, soit les quinze jours précédant la mise en place du confinement.

Dimension   Moyenne de 0 à 10
Grandes dimensions   Mars 2019 Mars 2020
Satisfaction de vie 6,6 6,7
Sens de la vie 7,1 7,1
Bonheur 7,1 6,8
Anxiété et dépression* 1,9 2,2
Santé 7,0 6,9
Niveau de vie 6,4 6,6
Comparaison avec les autres Français 6,5 6,6
Perception de l’avenir      
Vie future (personnelle) 6,0 6,0
Prochaine génération France 4,2 4,0
Prochaine génération Europe 4,5 4,2
Proches et environnement      
Relations avec les proches 8,2 8,2
Gens sur qui compter 7,5 7,6
Sentiment de sécurité 7,4 7,3
Agression ressentie* 1,6 1,7
Travail et temps de vie      
Satisfaction au travail 7,3 7,1
Relations de travail 7,2 7,1
Équilibre des temps de vie 6,1 6,0
Temps libre 6,7 6,6

Tableau 1 : Tableau de bord. Les flèches indiquent les améliorations ou dégradations par rapport au même mois l’année précédente. Les flèches grises indiquent que la variation n’est pas significative au seuil de 5 %.
* Pour l’anxiété et l’agression, un score plus haut indique un niveau d’anxiété ou d’agression plus élevé

Malgré la situation en Chine, puis en Italie, les indicateurs sont assez peu différents de ceux de mars 2019 (Tableau 1). Seul véritable signe avant-coureur, le sentiment de déprime et d’anxiété augmente. Il le faisait déjà depuis un an, mais le rythme semble s’être accéléré au dernier trimestre.

Le calme avant la tempête

Début mars, la satisfaction dans la vie moyenne continuait sur sa lancée des mois précédents (Figure 1), atteignant même un plus haut depuis juin 2016. Les enquêtés étaient donc assez satisfaits de leur situation générale. L’inflexion vers le haut de la courbe ce trimestre provient essentiellement des ménages de la classe moyenne, les deux autres catégories affichant un niveau essentiellement identique à celui de décembre.

Figure 1

L’image est à peu près la même concernant le rapport au futur proche. Malgré les conséquences déjà graves de la pandémie en Chine et la situation déjà inquiétante en Italie du Nord (le premier décès italien date du 22 février, et le pays a été placé en confinement le 10 mars, après plus de 400 décès), les enquêtés envisageaient avec optimisme leur avenir personnel (Figure 2). Comme pour la satisfaction de vie, la légère inflexion vers le haut provient des classes moyennes.

Figure 2

Dans le même temps, les réponses moyennes à notre question sur le sentiment de sécurité dans son quartier à la nuit tombée se sont très nettement améliorées sur le dernier trimestre (Figure 3). Elles retrouvent un niveau comparable à celui de mars 2019, après une année où cette impression a été assez dégradée. Bien évidemment, le caractère spécifique de la question ne lui permet pas de refléter complètement le sentiment vis-à-vis de l’extérieur en général. Cependant, il permet probablement de dire qu’au début du mois de mars, l’espace proche n’était pas perçu comme menaçant.

Figure 3

Ces trois métriques suggèrent ainsi qu’à quelques jours du confinement, beaucoup de Français n’anticipaient pas l’ampleur des conséquences de l’épidémie sur leur vie quotidienne.

Des inquiétudes antérieures à la pandémie

Les évolutions d’une année sur l’autre présentées dans le Tableau 1 indiquent pourtant une montée de l’inquiétude, immédiate et relative à l’avenir collectif. Cette évolution négative est réelle, mais date pour l’essentiel des trois premiers trimestres de 2019, soit avant qu’il ne soit fortement question de la pandémie dans l’actualité.

Ainsi, le sentiment d’avoir été heureux la veille était moins fréquent début mars 2020 que l’année précédente (Figure 4). Cependant, l’essentiel de cette chute est intervenu entre septembre et décembre 2019. Le niveau de mars 2020, certes faible par rapport à la moyenne depuis 2016, est stable par rapport au trimestre précédent.

Figure 4

Nos deux questions concernant les perspectives de la prochaine génération – en France et en Europe hors de France – sont aussi en baisse par rapport à mars 2019 (Figure 5). La majeure partie de cette chute est intervenue entre mars et septembre 2019, l’opinion moyenne étant stable depuis. À un niveau plus fin, l’appréciation des femmes concernant ces perspectives sont varient effectivement peu, tandis les évaluations des hommes augmentent depuis septembre – creusant un écart significatif entre les deux sexes dans l’échantillon de l’enquête. Comme pour les appréciations de la situation et de l’avenir individuel, les classes moyennes se distinguent par une amélioration de leur évaluation.

Figure 5

Le profil des avis sur l’avenir du reste de l’Europe est assez similaire, sans toutefois laisser apparaître cette faible amélioration, qui est spécifique à la question sur la France.

S’il est clair que l’épidémie n’a pas pesé sur ces indicateurs, la situation apparaît plus complexe dans le cas de notre question « Au cours de la journée d’hier, vous êtes-vous senti.e déprimé.e ? » (Figure 6).

Figure 6
Rappel : La courbe augmente avec la proportion de répondants qui se sont sentis déprimés.

Comme les précédents, cet indicateur se dégradait depuis mars 2019 (une augmentation de la moyenne indique que plus de personnes se sont senties déprimées). Il traduisait donc la remontée d’une inquiétude générale, mais restait à des niveaux assez contenus au regard du pic observé en décembre 2018 lors de la crise des Gilets jaunes. Entre décembre 2019 et mars 2020, la pente semble s’accentuer, mais nous ne sommes pas ici à l’abri d’un artefact statistique, ou d’inquiétudes sans lien avec l’épidémie, par exemple relatives à un passage en force de la réforme des retraites au moyen de l’article 49.3 de la Constitution.

Une amélioration du côté des temps de vie… pour les hommes

Les niveaux des appréciations relatives au travail, aux loisirs et à l’équilibre des temps de vie sont comparables à ceux de mars 2019, qui était à bien des égards un point haut. La Figure 7 en donne une illustration en ce qui concerne les relations de travail.

Figure 7

Cette amélioration d’ensemble par rapport au point bas de juin 2019 – partagée par l’appréciation de l’équilibre des temps de vie – cache cependant des contrastes très importants entre genres.

Ainsi, une très large partie de l’amélioration sur le dernier trimestre procède de l’amélioration du sentiment des hommes, les femmes ayant connu une dynamique similaire en 2019. Les réponses à la question sur l’équilibre des temps de vie (Figure 8) illustrent ce décalage dans le temps.

Figure 8

Dans le même ordre d’idées, la convergence des appréciations concernant le temps libre – l’appréciation des femmes rejoignait en décembre 2019 celle des hommes – a été de courte durée, puisque les hommes retrouvent en mars 2020 l’avis assez positif qu’ils ont en la matière depuis 2018, tandis que les femmes retournent vers la vision moins favorable qui était la leur en 2017 (Figure 9).

Figure 9

Vers l’entrée dans le confinement

Au regard de l’ensemble de ces indicateurs, les Français semblaient peu préparés au choc de l’entrée dans le confinement. Des inquiétudes de long terme pesaient sur leur appréciation de l’avenir collectif et probablement sur leur moral immédiat – ce qui s’est probablement également traduit pas la forte hausse des opinions négatives sur l’évolution du chômage, des prix et du niveau de vie dans les variables de conjoncture collectées dans la même enquête1. Ils avaient une appréciation assez favorable de leurs situation et avenir individuel.

Les conséquences du confinement tant sur la vie personnelle que professionnelle sont donc arrivés brutalement, et nous en mesurerons leurs impacts dans les prochaines vagues de l’enquête. Pour finir cependant sur une note d’optimisme : à la veille du confinement, l’indicateur de satisfaction vis-à-vis des relations avec les proches était bien orienté (Figure 10).

Figure 10

  1. « Début mars 2020, les craintes des ménages sur la situation économique future augmentent fortement », Informations rapides no82, Insee, 27 mars 2020.