Note de l’Observatoire du Bien-être n°2020-02 : Le Bien-être des Français – Décembre 2019

Alors que la vague de décembre 2018 avait affiché une nette dégradation des principaux indicateurs de bien-être, que nous avions mise en relation avec la crise des Gilets jaunes, celle de décembre 2019 ne porte qu’une trace limitée du conflit social concernant la réforme des retraite. La satisfaction dans la vie et la perception de l’avenir personnel restent à leurs niveaux observés depuis le début de l’année, tandis que le sentiment d’être heureux et l’exposition à l’agression, plus en prise avec l’environnement immédiat, se détériorent.

Les indicateurs relatifs à la situation de long terme demeurent à des niveaux plus faibles que ceux observés depuis 2017, traduisant un pessimisme durable dans les perspectives d’avenir collectif – le projet de réformes des retraites ne semble pas avoir sur ce point suscité ni la perception d’une amélioration ni d’une dégradation de la situation de la prochaine génération en France.

Auteurs :

Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Tableau de bord

Dans une ambiance encore marquée par la contestation de la réforme des retraites, nous nous attendions à ce que l’édition de décembre de notre Tableau de bord du bien-être en France présente une chute conjoncturelle des indicateurs du bien-être subjectif en France, à l’image de ce que nous avions observé en décembre 2018, lors de la crise des Gilets jaunes.

Force est de constater que la situation semble différente : la quasi-totalité des indicateurs sont restés stables, et s’ils s’améliorent sur un an (Tableau 1), c’est uniquement par comparaison à ce point bas que fut décembre 2018.

Dimension   Moyenne de 0 à 10
Grandes dimensions   Dec. 2018 Dec. 2019
Satisfaction de vie 6,4 6,6
Sens de la vie 6,9 7,1
Bonheur 6,6 6,8
Anxiété et dépression* 2,3 2,0
Santé 6,8 6,9
Niveau de vie 6,2 6,5
Comparaison avec les autres Français 6,4 6,6
Perception de l’avenir      
Vie future (personnelle) 5,4 5,9
Prochaine génération France 3,8 4,0
Prochaine génération Europe 4,2 4,3
Proches et environnement      
Relations avec les proches 8,2 8,1
Gens sur qui compter 7,6 7,5
Sentiment de sécurité 7,2 7,1
Agression ressentie* 2,0 1,9
Travail et temps de vie      
Satisfaction au travail 6,9 7,0
Relations de travail 6,8 7,0
Équilibre des temps de vie 5,7 5,8
Temps libre 6,7 6,5

Tableau 1 : Tableau de bord. Les flèches indiquent les améliorations ou dégradations par rapport au même mois l’année précédente. Les flèches grises indiquent que la variation n’est pas significative au seuil de 5 %.
* Pour l’anxiété et l’agression, un score plus haut indique un niveau d’anxiété ou d’agression plus élevé

Un trimestre comme les autres

La moyenne de la satisfaction de vie était en septembre à un niveau équivalent à celui observé depuis début 2019 (figure 1), et similaire à celui observé en moyenne depuis 2017, hors périodes exceptionnelles. Comme on peut le constater sur notre Tableau de bord en ligne, les autres dimensions principales du bien-être subjectif connaissent la même évolution – et sur l’ensemble du Tableau 1, la continuité par rapport à septembre 2018 domine.

Figure 1

Exprimée en fonction du niveau de revenu (Figure 2), la satisfaction du tiers médian des ménages poursuit une lente érosion par rapport au début de l’année, mais à des niveaux qui restent comparables à ceux de 2017.

Figure 2

Exception à la stabilité générale, le sentiment d’avoir été heureux la veille est en repli par rapport au début de l’année (Figure 3). À la baisse entre mars et juin vient s’ajouter un décrochage plus marqué entre septembre et décembre.

Figure 3

Le niveau est toutefois comparable à celui de décembre 2017, que nous avions interprété comme le reflet d’espoirs post-élection déçus, plus qu’au point bas de décembre 2018. À la différence toutefois du mouvement de 2018, la baisse de décembre 2019 ne pas les plus de 65 ans.

L’écart entre la satisfaction dans la vie en général et celle relative au niveau de vie, que nous relevions dans notre précédente note de conjoncture, reste présent.

Perceptions de l’avenir

Comme depuis le début de l’année, l’appréciation que les répondants ont de leur vie future est stable, en ligne avec la valeur moyenne depuis le début de l’enquête (Figure 4). Cette stabilité est en soi remarquable en plein milieu d’un débat national houleux sur les retraites. Il est possible que notre question, portant sur « les années à venir », ne paraisse pas renvoyer pour la plupart des répondants à l’horizon lointain qu’est la retraite.

Figure 4

La dégradation de l’appréciation faite des perspectives de la prochaine génération en France (Figure 5) que nous observions depuis le début de l’année semble s’être arrêtée, à un niveau similaire à celui du début de notre enquête. Si, comme nous le disions en 2017, une partie du succès d’E. Macron tenait à une confiance dans sa capacité à construire un avenir meilleur, ce pessimisme viendrait confirmer que cette confiance ne s’est pas inscrite dans le temps. Comme précédemment, ce sont les pessimistes – 55 % des répondants qui se situent entre 0 et 4 – qui pèsent sur la moyenne d’ensemble.

Figure 5

Cette part des pessimistes quant à ce que vivra la prochaine génération atteint les 60 % dans le tiers inférieur de la distribution des revenus.

Travail et temps de vie

La satisfaction vis-à-vis du travail, que nous suivons avec une attention particulière depuis un an maintenant, continue de varier assez fortement (Figure 6). La progression de cet indicateur sur les trois dernier mois est essentiellement le fait des femmes, et des deux tiers supérieurs de la distribution des revenus.

Figure 6

Les évolutions de 2019 avaient déjà été largement liées à l’évolution de l’opinion des femmes de l’échantillon sur ce point, mais le début de remontée de septembre était plus lié aux ménages du tiers inférieur de la distribution des revenus.


L’appréciation du temps libre, en baisse depuis mars, se stabilise à un niveau comparable à sa moyenne depuis le début de l’enquête (Figure 7).

Figure 8

Comme lors des vagues précédentes, ces évolutions d’ensemble de l’appréciation du temps libre cachent de fortes disparités selon le genre (Figure 8). Ainsi, la stabilisation de décembre correspond à une légère baisse de la satisfaction chez les hommes et d’une amélioration marquée chez les femmes.

Proches et environnement

Le sentiment d’exposition à l’agressivité est l’un des deux indicateurs qui ont fortement évolué depuis la dernière vague (Figure 9). En septembre, nous relevions une légère dégradation, liée principalement aux personnes habitant en milieu rural. En décembre, la proportion de personnes se sentant exposées à une forme d’agression hors de leur famille (réponse supérieure à 0) a augmenté, passant de 31 % en juin à 37 % aujourd’hui (39 % en décembre 2018).

Figure 9

Cette augmentation est vécue par les deux genres, et plutôt par les habitants des villes, en particulier ceux de l’agglomération parisienne – il est difficile sur ce point de ne pas supposer un lien avec les difficultés de circulation en décembre du fait de la grève dans les transports en commun.

Figure 10

Le sentiment de sécurité dans l’environnement proche (son quartier) continue son recul par rapport au point haut de mars 2019 (Figure 10). Il atteint maintenant son plus bas niveau depuis le début de notre enquête, même si globalement, le sentiment de sécurité dans son quartier reste élevé (moyenne supérieure à 7 sur une échelle de 0 à 10). Territorialement, on retrouve la hiérarchie observée dans la plupart des vagues de l’enquête : le sentiment de sécurité est le plus fort dans les communes rurales, puis dans les communes de moins de 100 000 habitants, puis dans les grandes villes et l’agglomération parisienne. La baisse de cet indicateur sur les neuf dernier mois est largement due aux habitants des communes rurales.

Perspectives

Bien qu’il s’agisse à nouveau d’un mouvement de contestation sociale d’une ampleur majeure, la contestation de la réforme des retraites ne s’est pas traduite dans nos indicateurs par la baisse généralisée du bien-être que nous avions observée en décembre 2018 lors du mouvement des Gilets jaunes.

Le fléchissement du sentiment d’être heureux et l’augmentation simultanée de l’exposition à l’agressivité semblent être pour l’instant les principales traductions du climat social tendu de décembre. Celui-ci ne semble ainsi pas avoir profondément affecté tant l’appréciation de la situation actuelle que celle des perspectives futures, qu’elles soient individuelles et à court terme, ou collectives et à long terme.