La vaste contestation que reprĂ©sente le mouvement des Gilets Jaunes sâenracine pour nous dans un sentiment profond et durable de mal-ĂȘtre et dâinsatisfaction des personnes vis-Ă -vis de leur vie et de leurs perspectives dâavenir. Afin de contribuer Ă la comprĂ©hension de ce mouvement et de sa composition sociale, nous dressons dans cette note un portrait en trois temps du mal-ĂȘtre en France tels que le rĂ©vĂšlent nos indicateurs subjectifs.
Qui sont les malheureux en France ? Nous montrons que si les marqueurs de statut social que sont le diplĂŽme, lâemploi et le revenu structurent lâexposition au mal-ĂȘtre, ce dernier touche une large frange de la population associĂ©e aux classes populaires et moyennes.
Dans la lignĂ©e de notre note de novembre dernier, « Bonheur rural, malheur urbain », nous revenons sur la situation des villes moyennes. Celles-ci affichent un niveau de bien-ĂȘtre moyen infĂ©rieur, et une proportion plus forte de malheureux. Cet Ă©cart sâexplique en partie par une sur-reprĂ©sentation en leur sein des catĂ©gories les plus malheureuses, ce qui se conjugue avec des niveaux de revenus plus faibles et une dynamique dĂ©mographique en berne.
En nous focalisant sur les malheureux de ces villes, nous mettons cependant en Ă©vidence un effet local supplĂ©mentaire : au sein de ces villes, le malheur et lâinsatisfaction vis-Ă -vis des relations avec les proches sâexpriment plus fortement dans la quasi-totalitĂ© des couches de la population. Il se manifeste donc dans ces agglomĂ©rations une dynamique nĂ©gative, qui pĂšse sur le bien-ĂȘtre de lâensemble de leurs habitants.
Auteurs :
Mathieu Perona, directeur exĂ©cutif de lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap
Introduction
Depuis prĂšs de deux mois maintenant, le mouvement des Gilets Jaunes secoue la France. Blocage de voies de circulation, manifestations pacifiques ou violentes, les actions sont spectaculaires. Au regard de ces actions qui saturent les mĂ©dias, on peine Ă saisir les contours sociaux du mouvement. Selon lâoccasion, les Gilets Jaunes sont des personnes en situation trĂšs prĂ©caires, pauvres ou trĂšs proches de lâĂȘtre, ou alors des employĂ©s que leur rĂ©munĂ©ration positionne au-dessus du SMIC mais qui peinent Ă boucler leur budget, ou encore des chefs de petites entreprises, menacĂ©s par lâalourdissement des taxes sur les carburants. De fait, ce mouvement semble dĂ©passer une grande partie des clivages catĂ©goriels et politiques habituels en France, avec une combinaison de revendications qui emprunte autant au registre habituel de la droite â baisses dâimpĂŽt â quâĂ la gauche â revalorisation du SMIC.
Nous montrons ici que cette colĂšre exprimĂ©e sur les rĂ©seaux sociaux et dans la rue, ainsi que le soutien massif quâa reçu ce mouvement, sont la traduction dâun mal-ĂȘtre durable dans la sociĂ©tĂ© française. Lâimpulsion dâaller tout bloquer dans un mouvement de protestation aux contours aussi vagues ne surgit pas dans un ciel clair, mais provient dâune longue insatisfaction quant Ă la vie menĂ©e, aux espoirs déçus, aux aspirations contrariĂ©es. Autant de choses dont nous savons quâelles dĂ©terminent largement les rĂ©ponses Ă la question « Ătes-vous satisfaits de votre vie ? ».
Dans ce portrait de la France malheureuse, nous rappelons que si on trouve des malheureux dans toutes les couches de la sociĂ©tĂ© française, le malheur reste fortement associĂ© au niveau de qualification, Ă lâemploi et aux revenus. Cette association ne se cantonne pas aux plus prĂ©caires ou aux plus pauvres : ce que nous constatons est un niveau de mal-ĂȘtre relativement Ă©levĂ© dans une part importante de la population, Ă la frontiĂšre entre les classes populaires et les classes moyennes.
Par ailleurs, et dans la suite de notre note sur les contrastes entre territoires1, nous montrons que le mal-ĂȘtre touche particuliĂšrement les villes moyennes22. Dâune part, ces villes moyennes accueillent une proportion plus grande des populations les plus malheureuses en termes de niveau de qualification ou de revenu. Dâautre part, nous mettons en Ă©vidence que le mal-ĂȘtre est plus rĂ©pandu dans ces villes moyennes pour pratiquement toutes les gĂ©nĂ©rations et classes sociales, ce qui nous conduit Ă penser quâau-delĂ de lâeffet de concentration des difficultĂ©s sociales, une dynamique dĂ©lĂ©tĂšre pĂšse aujourdâhui sur le bien-ĂȘtre de lâensemble des habitants de ces agglomĂ©rations.
DĂ©finir le malheur
Qui sont donc les malheureux en France ? Plus prĂ©cisĂ©ment, nous faisons ici le portrait des Français qui se dĂ©clarent peu satisfaits de leur vie. Cette question prĂ©sente en effet une dimension rĂ©flexive. Une rĂ©ponse sur le bas de lâĂ©chelle reflĂšte ainsi moins un Ă©pisode momentanĂ© de malheur quâune insatisfaction profonde vis-Ă -vis de ce quâest la vie du rĂ©pondant, comparĂ©e Ă ce quâil pense quâelle aurait pu ĂȘtre. En dâautres termes, nous pensons capturer ici les espoirs déçus et la frustration qui se sont largement exprimĂ©s dans le mouvement des Gilets Jaunes.
LâĂ©chelle de satisfaction allant de zĂ©ro (pire vie possible) Ă 10 (meilleure vie possible), nous devons fixer un seuil, qui comportera nĂ©cessairement une part dâarbitraire : en-dessous de quelle position sur lâĂ©chelle fait-on partie des plus malheureux en France ? Si on considĂšre la distribution des rĂ©ponses Ă cette question au cours des dix derniĂšres annĂ©es (figure 1), deux seuils sont envisageables.

Soit nous considĂ©rons que sont malheureuses les personnes qui ont rĂ©pondu 5 ou moins, ce qui rassemble 17% des rĂ©pondants. Si nous incluons Ă©galement ceux qui ont rĂ©pondu 6 Ă cette question, cette part monte Ă 27%. Nous retenons ce dernier seuil, qui nous permet de prendre en compte lâintĂ©gralitĂ© du quart le plus malheureux de la population.
Portrait social de la France malheureuse
Genre et Ăąge
Nous avons relevĂ© dans notre Tableau de bord que les femmes avaient en moyenne une satisfaction de vie plus faible que celle des hommes. Cette diffĂ©rence se retrouve parmi les plus malheureux, puisque 57% sont des malheureuses. Comme nous le verrons plus loin dans les corrĂ©lats observables du mal-ĂȘtre, il ne sâagit pas lĂ dâune diffĂ©rence directe entre les genres : les femmes appartiennent plus frĂ©quemment que les hommes aux catĂ©gories de diplĂŽme et de revenu plus touchĂ©es par le mal-ĂȘtre. Ainsi que nous le documentons dans notre tableau de bord, elles sont Ă©galement plus souvent sujettes Ă lâanxiĂ©tĂ© et Ă la dĂ©pression, et Ă©prouvent un sentiment dâinsĂ©curitĂ© trĂšs supĂ©rieur Ă celui des hommes (voir notre note 3 Ă ce sujet).
La satisfaction de vie varie aussi au cours de la vie4, avec un point bas aux alentours de 45 ans. Nous retrouvons cette dynamique dans la part des plus malheureux. La figure 2 souligne par ailleurs le poids croissant du mal-ĂȘtre chez les seniors : parmi les plus de 80 ans, 40% se dĂ©clarent peu satisfaits de leur vie.

Lecture : la part des plus malheureux parmi les 25 – 30 ans est de 19%, et cette classe dâĂąge reprĂ©sente 8% de la population totale.
Situation sociale
Le revenu
Nous avions illustrĂ© dans lâOpuscule Les Français, le bonheur et lâargent5 Ă quel point le revenu constitue un dĂ©terminant fondamental de la satisfaction de vie pour les Français, plus que dans la plupart des autres pays. De fait, dans notre Ă©chantillon, le revenu mĂ©dian des mĂ©nages comptant un membre malheureux accuse un retard de 675 ⏠par mois par rapport Ă celui de lâensemble de la population. Il sâĂ©tablit ainsi Ă 2 300 ⏠mensuels, soit 1,8 SMIC au total pour le mĂ©nage malheureux mĂ©dian.

Lecture : Parmi le premier décile de revenu, 49% des individus se déclarent malheureux (satisfaction de vie inférieure ou égale à 6 sur une échelle de 0 à 10).
La part des malheureux diminue au fur et à mesure que le revenu augmente. Elle est de 49% parmi les membres du premier décile (les 10% les plus pauvres), et de 14% parmi les 10% les plus riches.
Lorsque nous avions Ă©tudiĂ© lâeffet du revenu sur la satisfaction de vie moyenne, nous avions relevĂ© que lâeffet du revenu sâattĂ©nuait lorsquâon atteignait les dĂ©ciles de revenu les plus Ă©levĂ©s. Cette attĂ©nuation nâapparaĂźt pas ici sur la part des malheureux. Cela nous conduit Ă penser que le revenu a un effet diffĂ©rent sur les causes dâinsatisfaction, quâil rĂ©duit Ă tous les niveaux de revenu, et sur les causes positives de satisfaction, sur lesquelles lâeffet de la richesse se rĂ©duit Ă partir dâun certain niveau.
Le diplĂŽme
Le diplĂŽme occupe en France une place centrale dans la dĂ©termination des carriĂšres professionnelles. Par consĂ©quent, les plus diplĂŽmĂ©s tendent Ă ĂȘtre plus heureux, ce qui sâexplique largement (voir cette note6) par des revenus plus Ă©levĂ©s et par un effet dâĂąge, les plus ĂągĂ©s Ă©tant Ă la fois moins diplĂŽmĂ©s et moins heureux. Si nous montrons et commentons ici les effets bruts, les diffĂ©rences entre niveau de diplĂŽme, de situation dâemploi ou de catĂ©gorie socio-professionnelles restent qualitativement les mĂȘmes si nous neutralisons lâeffet du revenu et de lâĂąge.

Lecture : Les personnes dont titulaires dâaucun diplĂŽme sont 39% Ă ĂȘtre malheureux, et reprĂ©sentent 11% de la population de lâenquĂȘte.
La part des malheureux est ainsi de 39% parmi les sans diplĂŽme, et de 15% parmi les diplĂŽmĂ©s dâun Master ou dâun doctorat. Le graphique souligne le rĂŽle charniĂšre du baccalaurĂ©at, mais aussi le poids encore trĂšs important (58%) des personnes dont le diplĂŽme le plus Ă©levĂ© est infĂ©rieur Ă ce niveau.
Une partie de cet effet dĂ©terminant du diplĂŽme, qui ne reflĂšte que le degrĂ© de formation initiale des individus, pourrait ĂȘtre neutralisĂ© par la formation continue. En France, lâeffet est plutĂŽt cumulatif, les moins diplĂŽmĂ©s ayant jusquâici moins eu accĂšs Ă la formation professionnelle et Ă la validation des acquis de lâexpĂ©rience.
Au-delĂ de lâeffet direct du diplĂŽme sur le niveau de revenu, une rĂ©cente note dâanalyse de France StratĂ©gie7 relĂšve que si les revenus des plus diplĂŽmĂ©s augmentent en moyenne jusquâĂ lâĂąge de 62 ans, ceux des moins diplĂŽmĂ©s commencent Ă diminuer dĂšs 54 ans, ce qui est de nature Ă engendrer une forte frustration pour des personnes qui ont encore prĂšs de dix ans de vie active devant elles.
Le statut professionnel
Au-delĂ du revenu quâil procure, le travail apporte des bĂ©nĂ©fices propres en termes de satisfaction de vie. CâĂ©tait lâobjet dâune de nos premiĂšres note8, oĂč nous montrions lâĂ©cart de bien-ĂȘtre entre personnes au chĂŽmage et en emploi, ainsi quâentre les diffĂ©rents types dâemploi. Nous retrouvons ces Ă©carts dans la proportions des plus malheureux (figure 5).

Lecture : Les Ă©tudiant.e.s reprĂ©sentent 3% de lâĂ©chantillon, et 13% dâentre eux se dĂ©clarent malheureux.
De fait, nous distinguons trois groupes : les personnes occupĂ©es (ayant un emploi ou en cours de formation â 52 % des rĂ©pondants), les inactifs par choix (au foyer ou en retraite â 39 % des rĂ©pondants), et ceux dont lâinactivitĂ© est subie (dont les chĂŽmeurs, qui incluent ici les personnes se dĂ©clarant au chĂŽmage, mĂȘme si elles ne sont pas inscrites Ă PĂŽle Emploi â 9 % des rĂ©pondants).
La catégorie socio-professionnelle
Les enquĂȘtes sur les ronds-points9 accrĂ©ditent lâidĂ©e que le cĆur social des Gilets Jaunes est formĂ© des classes moyennes infĂ©rieures et de la partie supĂ©rieure des classes populaires, qui partagent un sentiment de dĂ©classement et une crainte de la prĂ©carisation, financiĂšre ou professionnelle. Nous retrouvons une plus forte part de malheureux dans les catĂ©gories socio-professionnelles les moins bien rĂ©munĂ©rĂ©es, mais la figure 6 fait apparaĂźtre le niveau Ă©levĂ© de malheur dans des segments que nous avons vu reprĂ©sentĂ©s au sein du mouvement : petits indĂ©pendants, employĂ©s dans les services aux particuliers ou dans la fonction publique.

Lecture : les cadres dâentreprise reprĂ©sentent 4,8% de lâĂ©chantillon et sont 14% Ă se dĂ©clarer malheureux. Les couleurs regroupent les catĂ©gories dĂ©taillĂ©es en ensembles (ex. rouge pour les ouvriers, turquoise pour les employĂ©s).
Nous distinguons sur ce graphique les contrastes qui peuvent exister au sein des grandes catĂ©gorie socio-professionnelles. La part de malheureux parmi les anciens cadres et professions intermĂ©diaire est ainsi bien plus faible que parmi les anciens ouvriers et employĂ©s, reflĂ©tant les contrastes Ă©tablis dans la vie active. Au sein des ouvriers, la qualification emporte une diffĂ©rence majeure dans la part des malheureux, et parmi les employĂ©s, ceux du secteur des services aux particuliers sont nettement plus malheureux que les autres. Ainsi, cette distribution sociale du malheur tranche au travers des groupes sociaux habituels, ce qui contribue sans doute Ă lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des publics, et Ă lâillisibilitĂ© de la contestation au prisme des grilles de lecture sociale usuelles.
Situation financiĂšre
Ainsi quâon lâa vu dĂšs le dĂ©part du mouvement, autour de la taxation des carburants, le sentiment dâinsĂ©curitĂ© financiĂšre est au centre du mal-ĂȘtre exprimĂ©. De fait, en mobilisant lâenquĂȘte de conjoncture auprĂšs des mĂ©nages augmentĂ©e de notre plate-forme bien-ĂȘtre, 41% des malheureux dĂ©clarent boucler tout juste leur budget, et 40% ne pas y parvenir (figure 7).

Ce haut degrĂ© d’inquiĂ©tude des plus malheureux est stable dans le temps (figure 8). Les deux premiers trimestres de 2017 avaient marquĂ© une lĂ©gĂšre amĂ©lioration pour les plus malheureux, mais les tension sont ensuite reparties Ă la hausse, pour atteindre un pic en dĂ©cembre. MĂȘme en excluant cette derniĂšre observation, un mĂ©nage sur cinq est Ă la fois malheureux et en Ă©tat de fragilitĂ© financiĂšre. Ces mĂ©nages peuvent donc rapidement basculer dans des situations difficiles, ou dans la contestation.

Lecture : en juin 2016, les plus malheureux Ă©taient 83% Ă dire boucler juste leur budget ou ĂȘtre dans l’impossibilitĂ© de le faire avec leurs revenus courants, contre 65% de l’ensemble des rĂ©pondants.
Ces personnes nourrissent en outre une opinion beaucoup plus pessimiste que la moyenne quant Ă l’avenir de la prochaine gĂ©nĂ©ration dans le pays (figure 9). Or, ce genre de pessimisme peut se traduire par un niveau plus faible d’investissement dans l’avenir, qu’il s’agisse d’efforts pour l’Ă©ducation des enfants ou le soin de sa santĂ©10. Traiter ce mal-ĂȘtre n’est donc pas seulement une question de sortir de la crise actuelle, mais d’Ă©viter qu’un tel fond d’insatisfaction ne se perpĂ©tue Ă l’Ă©chelle d’une gĂ©nĂ©ration.

Lecture : En dĂ©cembre 2018, les personnes malheureuses attribuaient un score moyen de 3 Ă lâavenir de la prochaine gĂ©nĂ©ration en France (sur une Ă©chelle de 0 Ă 10) contre 3,8 pour lâensemble de la population enquĂȘtĂ©e.
En forme de conclusion provisoire de ce rapide portrait socio-Ă©conomique de la France malheureuse, nous pouvons dire que le malheur, en France, touche non seulement les personnes les plus prĂ©caires, mais une vaste frange â pensons au grand nombre de personnes dont le diplĂŽme est infĂ©rieur au baccalaurĂ©at, dont un tiers se dĂ©clarent malheureuses â que l’on associe habituellement aux classes populaires et moyennes.
Le mal-ĂȘtre des villes moyennes
Dans une rĂ©cente note11, nous avions relevĂ© que les unitĂ©s urbaines de 20 000 Ă 100 000 habitants (que nous appellerons ici les villes moyennes) dĂ©clarent en moyenne un bien-ĂȘtre nettement infĂ©rieur Ă celui dĂ©clarĂ© par les autres types dâagglomĂ©rations12, et aussi trĂšs nettement infĂ©rieur Ă ce que voudraient leur composition en termes dâĂąge et de revenus.

Lecture : La satisfaction de vie moyenne dĂ©clarĂ©e par les habitants des unitĂ©s urbaines de 20 000 Ă 99 000 habitants est de 6,95. Sur la base des revenus et de l’Ăąge de ces personnes, elle devrait ĂȘtre proche de 7,25.
Nous retrouvons cette spĂ©cificitĂ© si nous considĂ©rons plutĂŽt que la moyenne la part des plus malheureux dans chaque type dâunitĂ© urbaine. Les plus malheureux reprĂ©sentent 31 % des habitants des villes moyennes, soit presque une personne sur trois, contre une moyenne nationale de 27 % (un peu plus dâun Français sur quatre). La plus faible moyenne de la satisfaction de vie dans ces agglomĂ©ration repose non seulement sur un plus faible nombre de personnes trĂšs heureuses, mais surtout sur un poids nettement plus important de malheureux.

Lecture : En moyenne, les répondants sont 27% à se déclarer malheureux selon notre définition. Dans les villes moyennes, ils sont presque 3,5 points de pourcentage plus nombreux (30,5%).
Nous allons ici dresser un portrait de ces villes, afin de mieux comprendre les raisons de ce mal-ĂȘtre.
Caractérisation
Pour commencer, rappelons que le groupe que nous étudions comporte 1 380 communes, réparties en 200 unités urbaines. Elles représentent 13 % de la population française métropolitaine.

En termes de structure urbaine, les modĂšles sont variĂ©s. Ils vont ainsi de cas oĂč l’unitĂ© urbaine est formĂ©e d’une unique commune (Narbonne, Ajaccio, Agde, Beaune, en sont des exemples) Ă des rĂ©seaux oĂč la commune la plus peuplĂ©e de l’unitĂ© urbaine reprĂ©sente Ă peine 20 % de la population totale de l’unitĂ© (Ballancourt-sur-Essone, Cluses, Dives-sur-mer, Esbly, etc.). Nous ne sous-estimerons donc pas ici la diversitĂ© des situations que recouvre cette grande catĂ©gorie. Leur diversitĂ© mĂȘme indique que certaines d’entre elles doivent se distinguer par un niveau de bien-ĂȘtre Ă©levĂ©. Toutefois, l’ampleur de l’Ă©cart moyen avec les autres agglomĂ©rations, mesurĂ© sur plusieurs annĂ©es dans le cadre d’enquĂȘte larges, indique qu’il ne s’agit pas lĂ du cas gĂ©nĂ©ral, mais au contraire que la grande masse de ces villes connaissent de vĂ©ritables difficultĂ©s.
Un tissu social fragilisé
Nous avions relevĂ© dans notre note que les villes moyennes, si elles sont moins heureuses en moyenne, ne se distinguent pas des autres types dâagglomĂ©ration quant Ă la satisfaction vis-Ă -vis de la vie locale : logement, cadre de vie, sĂ©curitĂ©, etc. Le seul autre point dâinsatisfaction notable rĂ©side dans le degrĂ© de satisfaction moyen vis-Ă -vis des relations avec les amis et la famille (figure 13).

Face Ă ce constat, nous avons Ă©mis l’hypothĂšse que l’emprise du mal-ĂȘtre dans ces villes Ă©tait liĂ© Ă une forme de dĂ©litement du tissu social, soit par des effets de contagion â le fait d’ĂȘtre en contact avec beaucoup de gens malheureux n’est pas propice au bien-ĂȘtre, sauf se rĂ©jouir du malheur des autres â soit par des effets de composition, les personnes heureuses (et nous avons vu que cela recouvrait souvent les personnes diplĂŽmĂ©es, avec des revenus Ă©levĂ©s ou de bonnes perspectives de revenu) Ă©tant absentes de ces agglomĂ©rations.
Revenus
Dans notre prĂ©cĂ©dente note ainsi que dans la figure 10 (points rouges), nous avions neutralisĂ© lâeffet de lâĂąge et du revenu afin de montrer que la plus faible satisfaction de vie des villes moyennes nâest pas uniquement due Ă ces facteurs. Dans ce portrait du malheur dans les villes moyennes, nous allons donc dĂ©buter par ces deux Ă©lĂ©ments, en gardant Ă lâesprit que ce qui nous intĂ©resse le plus sont les facteurs qui viendront sâajouter ensuite, et dans lesquels rĂ©side lâĂ©cart entre ce que le bien-ĂȘtre de ces villes devrait ĂȘtre en thĂ©orie et ce quâil est effectivement.
Au-delĂ de lâeffet direct des revenus sur le bien-ĂȘtre des individus, le niveau de richesse des collectivitĂ©s conditionne en partie leurs ressources, et donc leur capacitĂ© Ă agir sur pour le bien-ĂȘtre de leurs habitants, quâil sâagisse des capacitĂ©s dâaction sociale qui leurs sont dĂ©volus, des services public locaux ou de leurs fonctions de soutien et dâanimation de la vie locale.
Les villes moyennes ont ainsi un revenu mĂ©dian infĂ©rieur Ă la mĂ©diane nationale. En particulier celles entre 50 000 et 99 999 habitants affichent un Ă©cart Ă la mĂ©diane de 276 ⏠par mois (figure 14). Si on compare Ă lâunitĂ© urbaine de Paris, lâĂ©cart des mĂ©dianes est de lâordre de 800 ⏠mensuels par mĂ©nage.

Lecture : le revenu médian mensuel dans les communes de 50 000 à 99 999 habitants est inférieur de 276 ⏠à la moyenne nationale.
Si on regarde la répartition des revenus plutÎt que la seule médiane (figure 15), les ménages qui font partie des 50% les plus pauvres en France (les déciles de revenu de 1 à 513) sont sur-représentés dans les villes moyennes, tandis que les revenus élevés (déciles 8 à 10) sont largement sous-représentés. Si les plus hauts revenus sont concentrés sur Paris, les communes plus petites (communes rurales et unités urbaines de moins de 20 000 habitants) accueillent en proportion plus de ménages aisés (sixiÚme, septiÚme et huitiÚme déciles) que les villes moyennes.

Lecture : dans les villes moyennes, les ménages se classant dans les 10% les plus pauvres au niveau national représentent 10,5% de la population, soit un écart de 0,5 points de pourcentage.
En termes de revenu, les villes moyennes sont ainsi prises en étau entre des taux de pauvreté qui sont similaires à ceux des plus grandes villes et une sous-représentation des classes moyennes supérieures et aisées.
Ce positionnement défavorable des villes moyennes se retrouve si on considÚre le taux de chÎmage. Elles partagent avec les villes plus grandes un niveau de chÎmage (au sens du recensement) plus élevé que la moyenne nationale.

Lecture : le taux de chÎmage dans les unités urbaines de 20 000 à 99 999 habitants était en 2015 supérieur de 2,6 point de pourcentage à la moyenne nationale (16,3 % contre 13,7 %). Le taux de chÎmage employé ici est celui au sens du recensement.
Des villes moyennes ùgées, et en perte de vitesse démographique
La croissance dĂ©mographique n’est aujourd’hui Ă©videmment pas une fin en soi. Dans le cas des unitĂ©s urbaines toutefois, le dynamisme dĂ©mographique â ou son absence â peut jouer un rĂŽle essentiel dans les dĂ©cisions d’investissement privĂ© et public, Ă commencer par le maintien de services publics locaux. Or, les villes moyennes ont connu entre 2010 et 201514 une croissance de leur population infĂ©rieure Ă la moitiĂ© de la moyenne nationale (1,3% contre 2,6% nationalement). Ce phĂ©nomĂšne affecte particuliĂšrement les unitĂ©s urbaines entre 50 000 et 100 000 habitants.

Lecture : la croissance démographique moyenne des unités urbaines de 20 000 à 99 999 habitants est de 1,3%, soit 1,1 point de pourcentage de moins que la moyenne nationale.
Les situations sont Ă©videmment contrastĂ©es au sein de chaque type dâunitĂ©s urbaines : ainsi, quelques villes moyennes ont connu entre 2010 et 2015 une croissance dĂ©mographique de lâordre de 12%. Cependant, ces villes font plutĂŽt figure dâexception : lâimmense majoritĂ© des villes moyennes montre une croissance fiable. Parmi les plus petites, un part significative prĂ©sente mĂȘme un net recul dĂ©mographique. Cette faible dynamique dĂ©mographique est en outre prĂ©sente dans toutes les rĂ©gions, Ă lâexception de lâĂle-de-France et de la rĂ©gion Provence-Alpes-CĂŽtes-dâAzur.
Cette faiblesse dĂ©mographique se double dâune vulnĂ©rabilitĂ© supplĂ©mentaire dans la composition par Ăąge des habitants. Par rapport Ă la moyenne nationale, les villes moyennes prĂ©sentent un dĂ©ficit pour toutes les classes dâĂąge en-dessous de 50 ans, et un excĂ©dent pour les classes dâĂąge supĂ©rieures Ă 50 ans, excĂ©dent particuliĂšrement marquĂ© chez les plus de 70 ans. Cette structure dĂ©mographique va continuer Ă peser sur le dynamisme de ces territoires, du fait de lâeffacement des gĂ©nĂ©rations les plus anciennes et de la faiblesse des groupes en Ăąge dâavoir des enfants.

Lecture : la part des 34 – 40 ans parmi les habitants des villes moyennes est infĂ©rieure de pratiquement un point de pourcentage Ă la moyenne nationale (6,8 % contre 7,9 %).
Reflet sans doute de ce dĂ©ficit de mĂ©nages comprenant des jeunes lâessentiel de actifs de moins de 50 ans, les villes moyennes sont la catĂ©gorie affichant le taux de logements vacants le plus Ă©levĂ©, entre 0,5 et un point de pourcentage plus Ă©levĂ© que la moyenne nationale (figure 19).

Lecture : Les villes moyennes connaissent un taux de vacance des logements supérieur de 0,8 points à la moyenne nationale (8,7% contre 7,9%).
Pour aller plus loin, il faudrait rĂ©aliser une analyse dĂ©taillĂ©e des flux de population entrants et sortants de ces agglomĂ©ration, ainsi qu’une analyse plus proprement gĂ©ographique sur l’insertion de ces unitĂ©s dans l’espace environnant. Ces deux Ă©lĂ©ments dĂ©passant largement le cadre de cette note, nous nous en tiendrons Ă l’idĂ©e que le faible dynamisme dĂ©mographique et la structure d’Ăąge de ces villes moyenne contribuent potentiellement Ă leur mal-ĂȘtre.
Un niveau de qualification en retrait
Les villes moyennes se caractĂ©risent pas une proportion plus Ă©levĂ©e que la moyenne nationale de titulaires dâune qualification infĂ©rieure au baccalaurĂ©at, et, inversement, par un dĂ©ficit de toutes les qualifications supĂ©rieures (figure 20). Câest pour partie un reflet de leur structure dĂ©mographique, les populations plus ĂągĂ©es Ă©tant en moyenne moins diplĂŽmĂ©es, mais reflĂšte aussi une faiblesse locale de lâoffre dâemplois qualifiĂ©s.

Lecture : dans les villes moyennes, la part de titulaires dâun CAP ou BEP est de 2 points de pourcentage supĂ©rieure Ă la moyenne nationale (30 % contre 28 %).
Les unités urbaines de plus petite taille partagent avec les villes moyennes la sur-représentation des qualifications faibles (Brevet des collÚges, CAP, BEP), mais pas une part des sans diplÎmes aussi importante que dans les villes moyennes.
Composition socio-professionnelle
En cohérence avec leur profil démographique et de qualification, les villes moyennes accueillent une proportion plus élevée de retraités,plus ùgés et en moyenne moins diplÎmés, et moins de catégories socio-professionnelles aisées et qualifiées, en particulier les cadres.

Lecture : les Cadres et professions libĂ©rales reprĂ©sentent 9 % de la population dâensemble, et 6,1 % de la population des villes moyennes, soit un Ă©cart de -2,9 %.
Qui sont les malheureux des villes moyennes ?
Afin de jeter un Ă©clairage supplĂ©mentaire sur ce malheur des villes moyennes, nous comparons maintenant la composition des plus malheureux au sein de ces unitĂ©s urbaines avec celle des plus malheureux au niveau national. Cette comparaison nous permet de mettre en Ă©vidence un effet local qui viendrait sâajouter Ă la sur-reprĂ©sentation des classes malheureuses dans ces villes.
Un effet atténué du revenu
Un revenu Ă©levĂ© protĂšge dans une certaine mesure du mal-ĂȘtre, ce quâillustre la figure 3. Dans les villes moyennes, cet effet semble moins puissant (figure 22) : Ă une exception prĂšs (le quatriĂšme dĂ©cile), les habitants des villes moyennes se dĂ©clarent plus souvent malheureux que la moyenne des personnes dâun niveau de revenu comparable. Lâeffet sâamenuise avec le revenu, mais les proportions restent supĂ©rieures â alors quâon sâattendrait Ă ce que, par comparaison avec leurs voisins, les mĂ©nages des dĂ©ciles supĂ©rieurs se sentent plutĂŽt mieux lotis que sâils habitaient dans des agglomĂ©rations oĂč la comparaison leur serait plus dĂ©favorable.

Lecture : Sur lâensemble du territoire, les 10 % les plus pauvres (D01) sont 49 % Ă se dĂ©clarer malheureux. Dans les villes moyennes, les mĂ©nages dont les revenus relĂšvent de ce dĂ©cile sont 56 % Ă se dĂ©clarer malheureux.
Un mal-ĂȘtre partagĂ© par tous les niveaux de qualification
Nous avons vu dans la section prĂ©cĂ©dente que les faiblement diplĂŽmĂ©s sont sur-reprĂ©sentĂ©s parmi plus malheureux. En comparant les malheureux habitant dans les villes moyennes Ă lâensemble des personnes se dĂ©clarant malheureuses, nous constatons que les faiblement diplĂŽmĂ©s habitant dans les villes moyennes sont plus nombreux en proportion Ă se dĂ©clarer malheureux (figure 23).

Lecture : Les sans diplÎme sont 39,5% à se déclarer malheureux au niveau national. Au sein de la population des villes moyennes, les sans diplÎme sont 45,5% à se déclarer malheureux.
On peut donc penser que le mal-ĂȘtre des villes moyennes ne procĂšde pas seulement dâune composition socio-dĂ©mographique moins favorable, que nous avons illustrĂ©e prĂ©cĂ©demment, mais aussi de facteurs propres Ă ce type dâagglomĂ©ration, qui diminuent encore la satisfaction de vie des plus faiblement diplĂŽmĂ©s. Nous voyons Ă cette occasion se fissurer la charniĂšre du baccalaurĂ©at. Au niveau national, il existe un Ă©cart significatif entre les titulaires dâun baccalaurĂ©at professionnel et les titulaires dâun CAP ou dâun BEP. Cet Ă©cart disparaĂźt dans les villes moyennes, pour se reporter entre les titulaires dâun bac pro et les titulaires dâun autre bac.
Par contraste, les titulaires dâun baccalaurĂ©at gĂ©nĂ©ral ou technologique, ainsi que les titulaires dâun diplĂŽme de lâenseignement supĂ©rieur court sont en proportion moins nombreux Ă se dĂ©clarer malheureux dans les villes moyennes (les diplĂŽmĂ©s du supĂ©rieur long â Master et doctorat â sont eux nettement plus malheureux). Nous y lisons dans ce positionnement relativement plus favorable des qualifications intermĂ©diaires un effet de comparaison. Les personnes moyennement qualifiĂ©es occupent une position sociale relativement plus Ă©levĂ©e dans ces villes oĂč la classe moyenne supĂ©rieure est plus faiblement reprĂ©sentĂ©e.
Effet sur les CSP
Quand on rĂ©partit la population en fonction des catĂ©gories socio-professionnelle (figure 24), on observe quâau sein des villes moyennes, pratiquement toutes les catĂ©gories prĂ©sentent une part de malheureux plus Ă©levĂ©e. Font exception les agriculteurs exploitants et les indĂ©pendants. Concernant les premiers, il sâagit dâagriculteurs rĂ©sidant dans un environnement urbain, donc un profil assez spĂ©cifiques, par exemple des vignerons habitant Ă Beaune.

Classes dâĂąge
De maniĂšre plus frappante encore, la proportion des plus malheureux est plus forte dans lâensemble des classes dâĂąge (figure 25).

La prĂ©valence du mal-ĂȘtre traverse donc les multiples effets de composition, pour toucher lâensemble des habitants de ces villes.
La satisfaction vis-Ă -vis des amis et de la famille
Nous avons vu quâun autre point caractĂ©ristique des villes moyennes Ă©tait la plus faible satisfaction Ă lâĂ©gard des relations avec les amis et la famille. Est-ce que nous observons sur cette variable le mĂȘme genre dâeffet uniforme que sur la satisfaction de vie ?
La vie sociale Ă©tant un Ă©lĂ©ment important du bien-ĂȘtre, lâĂ©valuation de la satisfaction de vie est fortement corrĂ©lĂ©e avec la satisfaction vis-Ă -vis des relations sociales. Au regard de la distribution des rĂ©ponses relatives aux relations avec les amis, nous considĂ©rons quâune personne est peu satisfaite de ses relations avec ses amis quand elle rĂ©pond 7 ou moins Ă cette question, ce qui reprĂ©sente 26% de notre Ă©chantillon.

Lâimage est sensiblement la mĂȘme que pour la satisfaction de vie : les insatisfaits de leurs relations avec leurs amis sont proportionnellement plus nombreux dans les villes moyennes. Cette insatisfaction est toutefois plus prononcĂ©e parmi les retraitĂ©s, ouvriers et employĂ©s que parmi les autres catĂ©gories (figure 26).
De mĂȘme, lâinsatisfaction quant aux relation amicales est plus prononcĂ©e dans les villes moyennes pour la quasi-totalitĂ© des classes dâĂąge (figure 27).

En guise de conclusion
Ce rapide portrait du malheur en France a mis en Ă©vidence quâau-delĂ de lâextrĂȘme dĂ©tresse, le mal-ĂȘtre concerne une part substantielle de la population. TrĂšs largement, les facteurs de ce mal-ĂȘtre sont connus : un faible niveau de qualification, qui pĂšse sur le revenu, expose plus au chĂŽmage et limite les perspectives professionnelles. Nous avons toutefois mis en Ă©vidence que ce mal-ĂȘtre traverse aujourdâhui certaines catĂ©gories professionnelles, pointant vers un effet diffĂ©renciĂ© de lâĂ©volution des conditions de travail, qui pĂšse par exemple sur les employĂ©s des services Ă la personne ou ceux du secteur public.
Nous avons Ă©galement montrĂ© que le mal-ĂȘtre des villes moyennes sâenracine dans la sur-reprĂ©sentation dans ces agglomĂ©rations des populations malheureuses, mais que la situation locale pĂšse sur le bien-ĂȘtre de lâensemble des habitants. Ce constat doit maintenant nourrir de nouveaux travaux dâidentification de ces facteurs locaux. Dans ce cadre, la faiblesse du dynamisme dĂ©mographique est un indicateur qui doit conduire Ă se pencher sur lâĂ©volution des Ă©quipements et des niveaux de vie dans ces agglomĂ©rations.
Références
- Y. Algan, E. Beasley, C. Senik, Les Français, le bonheur et lâargent, Ăditions Rue dâUlm / Cepremap, coll. Opuscules du Cepremap, no46, Paris, 2018.
- Florence Aubenas, « « Gilets jaunes » : la révolte des ronds-points », Le Monde, Reportages, 15 décembre 2018
- Elizabeth Beasley, Madeleine PĂ©ron, Mathieu Perona, « DiplĂŽme, revenu et confiance », Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2018-06, 05 Octobre 2018
- Elizabeth Beasley, Esther Raineau-Rispal, Mathieu Perona, « Le Tournant de la quarantaine », Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2018-01, 2018-02-12
- LĂ©a Flamand, Christel Gilles et Alain Trannoy, « Les salaires augmentent-ils vraiment avec lâĂąge ? », Note dâAnalyse no72, France StratĂ©gie, Novembre 2018.
- RaphaĂ«l Garrigos et Isabelle Roberts, Camille Polloni et MaĂŻtĂ© Darnault, « Jaunes de rage », Les Jours, 2018 â 2019.
- François Gleizes et Sébastien Grobon, « Le niveau de satisfaction dans la vie dépend peu du type de territoire de résidence », INSEE Focus, no139, 14-01-2019
- C. Graham, dans Happiness for All?, Princeton University Press, 2017.
- Laura Leker, « Confiance et bien-ĂȘtre », Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2016-02, 02/05/2016
- Madeleine PĂ©ron, Mathieu Perona, « Bonheur rural, malheur urbain », Note de lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2018-07, 08 Novembre 2018
- Esther Raineau-Rispal et Mathieu Perona, « Les Femmes et le sentiment dâ(in)sĂ©curitĂ© », Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2018-04, 06 juin 2018
- « « Gilets jaunes » : une enquĂȘte pionniĂšre sur la « rĂ©volte des revenus modestes », Le Monde, IdĂ©es, 11 dĂ©cembre 2018
Données
EnquĂȘte SRCV
Cette enquĂȘte statistique sur les Ressources et Conditions de Vie des mĂ©nages est menĂ©e annuellement par lâINSEE. 16 000 logements sont concernĂ©s, avec une enquĂȘte en face-face sur les revenus, la situation financiĂšre et les conditions de vie des mĂ©nages. En raison de lâimportant travail statistique requis pour sa mise en forme et la dĂ©termination des pondĂ©rations, elle est habituellement disponible dans lâannĂ©e suivant celle de la collecte. Ainsi, la vague la plus rĂ©cente exploitĂ©e dans cette note est la vague de 2016. PrĂ©sentation du dispositif par lâINSEE et AccĂšs aux donnĂ©es via Progedo â Adisp.
EnquĂȘte CAMME / OBE
Depuis Juin 2016, lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du CEPREMAP finance une plate-forme de 20 questions sur le bien-ĂȘtre des Français. AdossĂ©e Ă lâEnquĂȘte mensuelle de conjoncture auprĂšs des mĂ©nages (CAMME) de lâINSEE, cette plate-forme est proposĂ©e chaque trimestre Ă un Ă©chantillon reprĂ©sentatif dâenviron 1800 personnes. Câest Ă notre connaissance la premiĂšre fois que le bien-ĂȘtre subjectif des Français est mesurĂ© de maniĂšre Ă la fois aussi riche et aussi frĂ©quente.
Données communales
Les données sur les unités urbaines métropolitaines proviennent de la Base INSEE des unités urbaines, et les données de population sont les Populations légales 2016 issues du recensement 2015.
Pour les Ă©volutions de la population et les taux de chĂŽmage, nous avons mobilisĂ© la Base Comparateur des Territoires de lâINSEE.
Annexes
DĂ©ciles de revenu
Pour dĂ©terminer les seuils des dĂ©ciles de revenu, nous avons utilisĂ©s les valeurs donnĂ©es par lâINSEE pour 2018.
En euros
Tranche de revenu annuel disponible | Limite supérieure | Revenu annuel moyen |
D1 | 13 630 | 10 030 |
D2 | 17 470 | 15 630 |
D3 | 21 120 | 19 280 |
D4 | 25 390 | 23 210 |
D5 | 30 040 | 27 680 |
D6 | 35 060 | 32 470 |
D7 | 41 290 | 38 080 |
D8 | 49 350 | 45 070 |
D9 | 63 210 | 55 300 |
D10 | /// | 96 240 |
Erratum
2019-02-18 : Nous avons mis Ă jour la Figure 10. La prise en compte dans nos prĂ©diction dâobservations pour lesquelles lâunitĂ© urbaine nâĂ©tait pas renseignĂ©e conduisait Ă une prĂ©diction de satisfaction de vie systĂ©matiquement supĂ©rieure Ă la valeur observĂ©e dans chaque unitĂ© urbaine.
Annexe méthodologique
Nous remercions lâInsee de nous avoir interpellĂ©s sur les limites et prĂ©cautions Ă avoir sur lâexamen dâĂ©carts de bien-ĂȘtre moyens entre unitĂ©s urbaines. Dans leur rĂ©cente note, lâĂ©quipe Condition de vie des mĂ©nages estime en effet que lâĂ©cart entre le diffĂ©rents types dâunitĂ©s urbaines nâest pas suffisamment prononcĂ©e pour ĂȘtre signifiante. Nous faisons ici Ă©tat plus en dĂ©tail des prĂ©cautions mĂ©thodologiques Ă avoir et des Ă©lĂ©ments de preuves qui nous ont conduits dans la rĂ©daction de cette note. Nous distinguons deux questions :
- LâĂ©cart de bien-ĂȘtre moyen observĂ© dans les villes moyennes est-il statistiquement significatif ?
- Ce Ă©cart est-il signifiant au regard des facteurs liĂ©s au bien-ĂȘtre, au-delĂ des effets liĂ©s Ă la composition socio-dĂ©mographique de ces agglomĂ©rations ?
Préambule : limites des intervalles de confiance
Le dispositif SRCV, que nous mobilisons pour la plupart des analyses prĂ©sentĂ©es dans cette note, repose sur un Ă©chantillon tournant, stratifiĂ© afin dâĂȘtre reprĂ©sentatif au niveau national et Ă certains niveaux dâagrĂ©gation. Par consĂ©quent, la dĂ©rivation dâintervalles de confiance robustes est extrĂȘmement complexe. Nous avons par consĂ©quent supprimĂ© ceux qui figuraient dans la version initiale de la Figure 10. Ceux que nous prĂ©sentons ci-dessous incluent les pondĂ©rations individuelles, mais pas les effets de stratification. Ils sont donc Ă considĂ©rer avec prudence, et comme des Ă©lĂ©ments indicatifs plus que des preuves statistiques formelles.
Ăcart brut de bien-ĂȘtre moyen
Nous posons ici la question de savoir si nous disposons dâassez dâĂ©lĂ©ments pour penser que lâĂ©cart de bien-ĂȘtre moyen entre les villes moyennes et les autres unitĂ©s urbaines est statistiquement significatif.
Pour ce faire, nous avons rĂ©gressĂ© au niveau individuel le bien-ĂȘtre dĂ©clarĂ© sur des indicatrices de types dâunitĂ©s urbaines ainsi que des indicatrices dâannĂ©es. Nous employons un modĂšle linĂ©aire gĂ©nĂ©ralisĂ© afin dâintĂ©grer les pondĂ©rations dans le calcul des coefficients et des Ă©carts-types. Les rĂ©sultats de ces rĂ©gressions sont prĂ©sentĂ©s dans le Tableau 1.
Coefficient (Ăcart-t) | (1) | (2) | (3) | (4) | (5) | (6) |
20 000 à 99 999 | -0,19*** (0,021) | -0,20*** (0,022) | -0,17*** (0,022) | -0,19*** (0,022) | -017*** (0,025) | Référence |
Paris | -0,08*** (0,022) | -0,06** (0,023) | -0,04 (0,025) | 0,13*** (0,029) | ||
Communes rurales | 0,06*** (0,016) | 0,04* (0,017) | 0,06** (0,020) | 0,23*** (0,024) | ||
2 000 Ă 19 999 | 0,05* (0,023) | 0,21*** (0,026) | ||||
100 000 Ă 199 999 | 0,19 (0,037) | 0,19*** (0,039) | ||||
200 000 à 2 millions | Référence | 0,17*** (0,027) | ||||
Dummies Année | Oui | |||||
AnnĂ©es | 2011 â 2016 | |||||
Observations | 91 720 |
Tableau 1: RĂ©gressions du bien-ĂȘtre dĂ©clarĂ© en fonction du type d’unitĂ© urbaine
LĂ©gende : *** p-valeur < 0,001, ** p-valeur < 0,01, * p-valeur < 0,05
Sur lâensemble des annĂ©es pour lesquelles on dispose de lâinformation sur les unitĂ©s urbaines, habiter dans une ville moyenne conduit Ă une Ă©valuation de la satisfaction de vie infĂ©rieure de -0,19 points. Cet ordre de grandeur est robuste Ă lâintroduction de contrĂŽles pour les autres types dâunitĂ©s urbaines. Inversement, la colonne (6) indique que lâĂ©cart est significatif (avec les limites explicitĂ©es plus haut) avec chacun des autres types dâunitĂ©s urbaines.
Un Ă©cart de cet ordre est-il significatif en pratique ? Sur la base de lâenquĂȘte SRCV elle-mĂȘme, cette diffĂ©rence correspond Ă Ă celle existant en moyenne entre le quatriĂšme et le cinquiĂšme dĂ©cile de revenu (4 470 ⏠annuels de diffĂ©rence moyenne dans le revenu d’un mĂ©nage). Sâil ne sâagit pas lĂ dâune diffĂ©rence absolument majeure, il nous semble quâun tel Ă©quivalent monĂ©taire correspond Ă une diffĂ©rence qui serait jugĂ©e notable entre deux mĂ©nages.
Effets de composition et effet fixe
Ainsi que nous le documentons dans cette note, une partie de la moindre satisfaction de vie dans les villes moyenne sâexplique par leur composition socio-dĂ©mographique : elles accueillent une part plus Ă©levĂ©e des classes dâĂąges et classes sociales en moyenne moins satisfaites de leur vie. Nous suggĂ©rons en derniĂšre partie de la note quâĂ cet effet de composition sâajoute un effet fixe, consĂ©quence dâĂ©lĂ©ments non pris en compte par les corrĂ©lats usuels du bien-ĂȘtre (par exemple un sentiment de dĂ©clin, peut-ĂȘtre alimentĂ© par la dynamique Ă©conomique ou la fermeture de services publics ou de commerces de proximitĂ©).
Afin de prendre une meilleure mesure de ces effets que la simple approche graphique, nous effectuons la rĂ©gression (1) du Tableau 1 (indicatrice de ville moyenne), mais en incluant, en supplĂ©ment et au niveau individuel, les variables de contrĂŽle pour lâĂąge (indicatrices dĂ©cennales), le sexe, le statut marital, la situation dâactivitĂ©, le diplĂŽme, la catĂ©gorie socio-professionnelle et le revenu disponible du mĂ©nage (en log). Les rĂ©sultats sont prĂ©sentĂ©s dans le Tableau 2.
Coefficient (Ăcart-type) | (1) | (2) | (3) | (4) | (5) | (6) |
Ville moyenne | -0,19*** (0,021) | -0,17*** (0,021) | -0,13*** (0,021) | -0,13*** (0,021) | -0,11*** (0,020) | -0,11*** (0,020) |
Situation personnelle | ||||||
Ăge | X | X | ||||
Genre | X | X | ||||
Situation matrimoniale | X | X | ||||
Situation socio-professionnelle | ||||||
Situation dâactivitĂ© | X | X | X | |||
DiplĂŽme | X | X | X | |||
CSP | X | X | X | |||
Revenus | ||||||
Revenu disp. du ménage (log) | X | X | X | |||
Dummies Années | Oui | |||||
AnnĂ©es | 2011 â 2016 | |||||
Observations | 91 720 |
Tableau 2: RĂ©gressions du bien-ĂȘtre subjectif en fonction du type dâunitĂ© urbaine, avec contrĂŽles
LĂ©gende : *** p-valeur < 0,001, ** p-valeur < 0,01, * p-valeur < 0,05
DâaprĂšs ces Ă©lĂ©ments, approximativement la moitiĂ© de lâĂ©cart de satisfaction de vie moyenne entre les unitĂ©s urbaines de 20 000 Ă 99 999 habitants est liĂ© Ă leur composition socio-dĂ©mographique, et lâautre moitiĂ© Ă dâautres facteurs.
Robustesse et discussion
Dans lâensemble de nos rĂ©gressions, les indicatrices dâannĂ©e portent des coefficients significatifs. Afin dâĂ©valuer la robustesse de nos rĂ©sultats aux variations annuelles, nous avons rĂ©alisĂ© la rĂ©gression (6) du Tableau 2 (ensemble des contrĂŽles) annĂ©e par annĂ©e (Figure 28, approximativement 15 000 observations par annĂ©e).

Figure 28 : Coefficients de l’indicatrice Villes Moyennes
Lâeffet inexpliquĂ© des villes moyennes aprĂšs contrĂŽles est de lâordre de -0,10, en ligne avec le -0,11 du Tableau 2 (6). LâannĂ©e 2015 semble prĂ©senter un comportement particulier, et lâintervalle de confiance contient zĂ©ro sur trois des six annĂ©es disponibles. Toutefois, les variations dâune annĂ©e sur lâautre sont assez faibles, et lâimage dâensemble cohĂ©rente avec ce qui est observĂ© sur lâensemble de lâĂ©chantillon.
Pour des raisons de simplicitĂ© de la prĂ©sentation, notre catĂ©gorie des villes moyennes regroupe deux modalitĂ©s des types dâunitĂ©s urbaines. En utilisant les modalitĂ©s de dĂ©part, nous observons que lâessentiel de lâeffet provient des unitĂ©s urbaines de 50 000 Ă 99 999 habitants pour lesquels lâeffet estimĂ© est de -0,23 (sans contrĂŽles) Ă -0,14 (ensemble des contrĂŽles)
Dâautres commentateurs ont attirĂ© notre attention sur le fait que lâeffet du revenu que nous mesurons pouvait ĂȘtre affectĂ© par les diffĂ©rences de pouvoir dâachat entre les types dâunitĂ©s urbaines, en particulier le prix de lâimmobilier, qui pĂšse lourd dans le budget des mĂ©nages. Ainsi, le prix trĂšs Ă©levĂ© de lâimmobilier conduit probablement Ă sur-estimer lâeffet du revenu Ă Paris, et contribue vraisemblablement Ă lâeffet fixe nĂ©gatif dans les rĂ©gression (2) et (4) du Tableau 1. Inversement, le marchĂ© immobilier est particuliĂšrement peu tendu dans les villes moyennes (Figure 19). Nous y sous-estimons probablement le pouvoir dâachat du revenu, ce qui renforce nos rĂ©sultats.
- Madeleine PĂ©ron, Mathieu Perona, « Bonheur rural, malheur urbain », Note de lâObservatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2018-07, 08 Novembre 2018
- Nous désignons sous ce terme les unités urbaines comprises entre 20 000 et 99 999 habitants.
- Esther Raineau-Rispal et Mathieu Perona, « Les Femmes et le sentiment dâ(in)sĂ©curitĂ© », Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2018-04, 06 juin 2018
- Elizabeth Beasley, Esther Raineau-Rispal, Mathieu Perona, « Le Tournant de la quarantaine », Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2018-01, 2018-02-12
- Y. Algan, E. Beasley, C. Senik, Les Français, le bonheur et lâargent, Ăditions Rue dâUlm / Cepremap, coll. Opuscules du Cepremap, no46, Paris, 2018.
- Elizabeth Beasley, Madeleine PĂ©ron, Mathieu Perona, « DiplĂŽme, revenu et confiance », Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2018-06, 05 Octobre 2018
- LĂ©a Flamand, Christel Gilles et Alain Trannoy, « Les salaires augmentent-ils vraiment avec lâĂąge ? », Note dâAnalyse no72, France StratĂ©gie, Novembre 2018.
- Laura Leker, « Confiance et bien-ĂȘtre », Observatoire du Bien-ĂȘtre du Cepremap, n°2016-02, 02/05/2016.
- On peut se rĂ©fĂ©rer par exemple aux premiers rĂ©sultats dâune Ă©quipe de chercheurs, ainsi quâaux enquĂȘtes de F. Aubenas ou de RaphaĂ«l Garrigos et Isabelle Roberts, Camille Polloni et MaĂŻtĂ© Darnault.
- Cet effet a Ă©tĂ© documentĂ© dans le cas des Ătats-Unis par C. Graham, dans Happiness for All?, Princeton University Press, 2017.
- Madeleine Péron, Mathieu Perona, « Bonheur rural, malheur urbain », op. cit.
- Cet Ă©cart de 0,25 points sur une Ă©chelle de 0 Ă 10 peut paraĂźtre faible en valeur absolue (câest ainsi que lâa considĂ©rĂ©e une rĂ©cente note de lâInsee). Elle est certes plus faible que lâĂ©cart, par exemple, qui correspond pour un individu Ă perdre son emploi. Mais Ă lâĂ©chelle de grandes catĂ©gories la diffĂ©rence est importante. Elle correspond par exemple Ă celle existant en moyenne entre le quatriĂšme et le cinquiĂšme dĂ©cile de revenu (4 470 ⏠annuels de diffĂ©rence moyenne dans le revenu d’un mĂ©nage). Ă cette aune, ĂȘtre dans une ville de taille intermĂ©diaire correspond bien Ă un changement important.
- Nous avons utilisĂ© par simplicitĂ© les dĂ©ciles de revenu disponible des mĂ©nages calculĂ©s par lâINSEE pour lâannĂ©e 2018. Ces seuils sont prĂ©cisĂ©s en annexe.
- Les bornes de 2010 et 2015 correspondent aux deux derniĂšres dates de recensement disponibles.