Note de l’Observatoire du Bien-être n°2022-02 : Le Bien-être des Français – Décembre 2021, Moral en berne

Pris début décembre, notre dernier baromètre du bien-être des Français pour 2021 confirme la stabilisation des principaux indicateurs après les montagnes russes des deux dernières années. Cette stabilisation s’accompagne toutefois d’une détérioration de l’état émotionnel des Français. Si une part de la chute du sentiment d’être heureux doit s’expliquer par la saison, nous enregistrons une baisse significative de la part des gens qui se sont sentis heureux la veille, et en parallèle une augmentation de ceux qui se sont sentis déprimés. Le présent, angoissant, fait ainsi de moins en moins recette tandis que les appréciations de l’avenir se dégradent lentement.

La stabilité des autres indicateurs cache parfois des évolutions contrastées. Ainsi, les femmes indiquent une progression de leur satisfaction à l’égard de toutes les dimensions touchant au travail et aux temps de vie, alors que ces domaines se dégradent chez les hommes. De même, l’appréciation de plusieurs indicateurs-clef résiste bien, voire s’améliore depuis un an chez les moins de 45 ans, mais baisse chez leurs aînés. La pandémie n’a pas remis en cause la stratification sociale du bien-être en France, mais nous constatons dans cette dernière vague que le niveau d’inquiétude des classes moyennes et supérieures rejoint celui habituellement déclaré par les ménages les plus modestes.

Mathieu Perona, Observatoire du Bien-être du Cepremap

Claudia Senik, Observatoire du Bien-être du Cepremap

Notre tableau de bord de septembre dernier montrait une stabilisation des principaux indicateurs de bien-être subjectif après deux ans de montagnes russes. Celui de décembre, pris entre la toute fin de novembre et le début des vacances de fin d’année confirme cette stabilisation. Le tableau d’ensemble a toutefois une teinte plus sombre, avec une érosion d’un grand nombre d’indicateurs et surtout un mouvement négatif du bien-être émotionnel1. Une partie de cette dégradation peut tenir à la saison. L’enquête est administrée entre la dernière semaine de novembre et la mi-décembre, période où l’entrée prochaine dans l’hiver coïncide avec les dernières semaines de la période scolaire. Cependant, ce recul du bien-être hédonique est nettement plus important que celui constaté en 2016 ou en 2017, ce qui nous incite à penser que le contexte de l’épidémie a joué un rôle important.

Tableau de bord

La comparaison par rapport à décembre 2020 donne d’abord le sentiment d’une érosion des dimensions du bien-être qui avaient plutôt bien résisté au troisième confinement : la satisfaction à l’égard du niveau de vie (Figure 1), du travail ou la comparaison par rapport aux autres Français a reculé progressivement sur l’année, vers un niveau comparable à celui d’avant la pandémie. Parallèlement, les autres grands indicateurs sont redescendus au niveau où ils étaient pendant le deuxième confinement.

Figure 1 : Dans tous les graphiques de cette Note, les barres grises indiquent les périodes de confinement en France métropolitaine. La ligne grisée en pointillés indique la valeur moyenne depuis le début de l’enquête. Les points en rouge relèvent les vagues de l’enquête au même mois que la dernière vague.

Des inquiétudes présentes

Par rapport au trimestre dernier, le principal mouvement est celui de l’inquiétude. La moyenne des réponses à la question « Au cours de la journée d’hier, vous êtes-vous senti heureux ? » a très significativement chuté, renouant avec son point bas du confinement de décembre 2020 (Figure 2). Dans le même temps, la part des gens qui disent s’être sentis déprimés la veille a, elle aussi, augmenté, retrouvant même son niveau d’il y a un an (Figure 3). Le volet émotionnel du bien-être subjectif apparaît donc en berne à la fin de 2021.

Figure 2
Figure 3

Il faut également tenir compte d’un effet d’usure. Si le sentiment de bonheur a connu sur le moment des hauts et des bas, un regard rétrospectif sur l’année écoulée (Figure 4) renvoie une image plus uniformément négative.

Figure 4

Cette morosité pèse probablement sur l’appréciation de l’avenir individuel, qui avait bien résisté jusqu’ici à la pandémie, mais se dégrade depuis trois trimestres, et tombent au-dessous de leur niveau d’avant la pandémie. Dans le même temps, la part des personnes qui répondent que si elles avaient le choix elles préféreraient vivre à l’époque présente représente pour la première fois moins d’un quart des réponses. Par comparaison, l’appétence pour le demi-siècle passé n’a jamais été aussi forte depuis le début de notre enquête (Figure 5)2.

Figure 5 : Part des réponses à la question « Certaines personnes aimeraient bien vivre dans une autre époque en France. Si vous aviez le choix, laquelle choisiriez-vous ? »

Les hommes plus touchés

Sur ce trimestre, certaines évolutions négatives sont principalement dues aux hommes dans notre échantillon. Ainsi, l’augmentation du sentiment de dépression provient essentiellement des de ces derniers, de même que l’érosion de l’appréciation du niveau de vie et des perpectives futures personnelles. Alors que les hommes sont la plupart du temps plus optimistes, ce n’est plus le cas en décembre 2021.

Figure 6

Dans le même temps, les questions relatives à la vie professionnelle – satisfaction vis-à-vis du travail, des relations de travail, et de l’équilibre des temps de vie- connaissent un mouvement de ciseaux : les réponses des femmes s’améliorent par rapport à septembre 2021 (Figure 6) mais celles des hommes se détériorent plus significativement.

Depuis un an, la perception d’avoir des gens sur qui compter s’améliore régulièrement chez les femmes – mais pas chez les hommes (Figure 7). Plusieurs études réalisées pendant la pandémie ont montré que les femmes avaient eu plus que les hommes la charge de l’adaptation aux circonstances : écoles fermées, changements d’activités, etc. Des enquêtes suggèrent qu’une partie d’entre elles a développé la possibilité de faire appel à des proches, ou noué des relations nouvelles avec d’autres parents faisant face aux mêmes difficultés.

Figure 7

Les moins de 45 ans creusent l’écart

Dans notre échantillon, les moins de 45 ans avaient, au printemps 2021, creusé l’écart avec leurs aînés en termes de satisfaction de vie. Cet écart reste important dans la vague de décembre, les trois groupes connaissant un léger repli parallèle3. En revanche, concernant la comparaison aux autres Français, les plus jeunes restent au même niveau qu’auparavant, alors que les réponses de leurs aînés déclinent (Figure 8).

Figure 8

Parallèlement, l’appréciation des perspectives de la prochaine génération en France est particulièrement négative chez les plus de 65 ans, alors qu’elle se redresse légèrement chez les plus jeunes.

Des contrastes sociaux stables

Si les deux ans de pandémie ont conduit à des fluctuations considérables selon la plupart de nos indicateurs, ils n’ont pas bouleversé les écarts sociaux que nous constatons depuis le début de la pandémie. Qu’on classe les ménages par niveau de revenu ou par diplôme, les plus riches ou les plus diplômés sont pratiquement toujours mieux situés sur les indicateurs d’ensemble et l’appréciation de l’avenir – mais pas dans les questions relatives à la vie professionnelle et moins nettement en ce qui concerne les relations avec les proches. Cet effet se retrouve dans cette dernière vague. Une dimension fait toutefois exception. L’augmentation de la part de personnes qui se sont senties déprimées provient des deux tiers supérieurs de la répartition des revenus (Figure 9). Les ménages les plus modestes continuent toutefois à se déclarer plus souvent déprimés que les autres.

Figure 9

Conclusion

Dans l’ensemble, les points de fragilité semblent se multiplier sur cette vague de décembre. Le bien-être émotionnel est en berne et la déprime en hausse, tandis que les métriques qui avaient bien résisté, voire s’étaient améliorées, s’érodent. Pour l’instant, les inquiétudes d’ordre économique, à commencer par les craintes à l’égard du pouvoir d’achat ou de l’inflation, ne se sont pas traduites massivement dans une insatisfaction à l’égard du niveau de vie. Elles ont en revanche pu peser sur l’appréciation toujours plus morne de l’avenir collectif. Les Français abordent donc cette année d’élections avec un moral fragile. Nous avions vu en 2017 comment la campagne présidentielle avait entraîné une amélioration de nombreux indicateurs. Ce phénomène se répètera-t-il en 2022 ?

Décembre 2021
Dimension

Réponse moyenne
(0 à 10)
Grandes dimensions**20202021


Dec.Sept.Dec.
Satisfaction de vie→→6,56,76,6
Sens de la vie↘→7,27,07,0
Bonheur→↘6,77,16,7
Anxiété et dépression*→↘2,31,92,2
Santé↘→7,06,96,8
Niveau de vie↘→6,86,76,6
Comparaison avec les autres↘→6,76,66,5
Année dernière↘→6,85,96,0
Perception de l’avenir



Vie future (personnelle)→→5,96,05,8
Prochaine génération France→→3,93,93,9
Prochaine génération Europe↘→4,14,14,0
Proches et environnement



Relations avec les proches→→8,18,28,2
Gens sur qui compter↗→7,57,77,8
Sentiment de sécurité→→7,17,27,1
Agression ressentie*→↘1,61,51,8
Travail et temps de vie



Satisfaction au travail↘→7,47,17,1
Relations de travail→→7,27,17,0
Équilibre des temps de vie→→5,85,85,7
Temps libre→→6,46,66,5

Tableau 1
Les flèches indiquent les améliorations ou dégradations par rapport au même mois l’année précédente. Les flèches grises indiquent que la variation n’est pas significative au seuil de 5 %.
* Pour l’anxiété et l’agression, un score plus haut indique un niveau d’anxiété ou d’agression plus élevé
** La première flèche indique l’évolution par rapport à l’année précédente, la deuxième flèche l’évolution par rapport au trimestre précédent

  1. Comme chaque trimestre, vous pouvez retrouver l’ensemble de nos indicateurs sur notre Tableau de bord en ligne.
  2. Tous les graphiques illustrant ces mouvements figurent dans notre Tableau de bord du bien-être en ligne.
  3. En raison de la technique d’échantillonage, fondée sur les fichiers de la taxe d’habitation et d’interrogation de la personne de référence, les jeunes sont peu représentés dans l’échantillon de l’enquête. De ce fait, nous construisons trois groupes d’âge : 17 à 44 ans, 45 à 64 ans, 65 ans et plus.