Dimensions de la solitude en France

Note
Observatoire du bien-ĂŞtre

Un grand nombre de Français vivent dans une situation plus ou moins prononcĂ©e d’isolement social. 12 % des Français de seize ans passent rĂ©gulièrement une semaine sans aucun contact avec leurs amis et leur famille, et 3 % plusieurs semaines. En septembre dernier, l’Insee a dressĂ© un portrait socio-Ă©conomique des personnes isolĂ©es, c’est-Ă -dire ayant peu ou pas de contacts avec leur famille et leurs amis. Ce travail montrait que l’isolement est associĂ© Ă  des indicateurs de fragilitĂ© Ă©conomique, ainsi qu’à un bien-ĂŞtre fortement dĂ©gradĂ©.

Dans la lignée de leur travail, nous réalisons un portrait similaire, et croisé avec le leur, en nous intéressant aux personnes qui déclarent se sentir très souvent seules. Cette appréhension subjective de solitude ne recouvre que partiellement celle d’isolement, et nous donne à voir des segments de la population qui souffrent de solitude quand bien même ils entretiennent autant voire plus que la moyenne des contacts réguliers avec leur entourage.

Notre analyse met ainsi en évidence que certaines de ces poches de solitude, à l’exemple des cités et grands ensembles, se situent dans des zones denses de la société, et procèdent de l’accumulation dans certains lieux ou populations des difficultés financières et sociales – exacerbées par le sentiment de n’avoir personne vers qui se tourner en cas de besoin. Au-delà de ces effets d’accumulation, nous mettons également en évidence des populations et lieux où la composition socio-démographique n’épuise pas la prévalence du sentiment de solitude, attestant de facteurs supplémentaires de fragilisation du lien social.

Nous ajoutons également à l’analyse l’impact de l’isolement et de la solitude sur la satisfaction dans la vie et la confiance interpersonnelle, dont nous avons montré qu’elles structurent le paysage politique français. La solitude pèse lourdement sur la satisfaction, alimentant la tentation contestataire, tandis qu’isolement comme solitude pèsent sur notre capacité à faire confiance à autrui.

Auteurs :

Elizabeth Beasley, chercheuse à l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Introduction

En septembre dernier, l’Insee dressait un important tableau de l’isolement en France (Insee Première no1770, Gleizes, Grobon, et Legleye (2019)). En s’appuyant sur la fréquence des contacts avec les amis et la famille, l’Insee montre que la perte de contact s’accompagne d’une situation socio-économique dégradée, d’une difficulté accrue à obtenir de l’aide en cas de besoin, et d’un bien-être dégradé dans à peu près toutes ses dimensions. Le profil-type de la personne isolée est ainsi un homme, relativement âgé, faiblement qualifié, aux revenus faibles, et vivant dans l’agglomération parisienne. Ce profil correspond d’ailleurs à celui dressé par le Crédoc pour la Fondation de France (Crédoc (2019)).

En regard de cette analyse adossĂ©e Ă  une mesure objective de la frĂ©quence des contacts, nous dressons ici un portrait des Français atteints par la solitude, entendue comme le sentiment de se sentir seul la plupart du temps ou tout le temps. Les deux dimensions ont naturellement partie liĂ©e, mais le paysage de la solitude ne recouvre que partiellement celui de l’isolement – et de fait, 62 % des personnes qui se disent seules ne sont pas isolĂ©es au sens de l’Insee. Comme pour l’isolement, la solitude est associĂ©e Ă  une situation socio-Ă©conomique dĂ©gradĂ©e, Ă  la difficultĂ© d’obtenir de l’aide et au mal-ĂŞtre. Toutefois, nous mettons en Ă©vidence des groupes pour lesquels les deux dimensions divergent. Ainsi, les parents isolĂ©s se sentent-ils très souvent seuls, alors qu’ils ne sont pas plus isolĂ©s que la moyenne, et pour toutes les classes d’âge, les femmes sont moins isolĂ©es, mais plus touchĂ©es par le sentiment de solitude. Ainsi, le profil-type de la personne souffrant de solitude est-il celui d’une femme, plutĂ´t âgĂ©e, au chĂ´mage, seule ou parent isolĂ©, vivant dans un milieu urbain.

Dans la lignĂ©e du rĂ©cent ouvrage Les origines du populisme (Algan et al. (2019)) nous mettons Ă©galement en Ă©vidence un effet diffĂ©renciĂ© de ces deux formes de perte de relation aux autres : le sentiment de solitude pèse d’abord sur la satisfaction de vie, tandis que l’isolement semble se nourrir et entretenir la dĂ©fiance Ă  l’égard des autres.

Isolement et solitude : liĂ©es, mais diffĂ©rents

Au sens oĂą nous l’entendons – la part de personnes qui dĂ©clarent se sentir seules la plupart du temps ou tout le temps, la solitude touche 8 % des Français, soit autour de 5 millions de personnes – Ă  mettre en regard des 3 % d’isolĂ©s dans la dĂ©finition de l’Insee.

Le manque de contact avec les amis et les proches – l’Insee dĂ©finit l’isolement comme le fait d’avoir moins d’un contact par mois, physique ou Ă  distance – favorise Ă©videmment le sentiment de solitude : ainsi que le relève l’Insee, les personnes isolĂ©es ont 2,5 fois plus de chances de se dĂ©clarer seules que les non-isolĂ©es, toutes choses Ă©gales par ailleurs. Pour autant, comme nous l’avons dit, la majoritĂ© des personnes qui se sentent seules ne sont pas isolĂ©es.

Cet Ă©cart entre les deux dimensions est particulièrement sensible chez les femmes (Figure 1). Pour chaque classe d’âge, les femmes sont tout Ă  la fois moins isolĂ©es que les hommes, et dĂ©clarent pourtant plus souvent se sentir seules.

Part des personnes isolées et se sentant seules, par sexe et classe d’âge
Figure 1 : Part des personnes isolĂ©es et se sentant seules, par sexe et classe d’âge

Sur le plan de l’isolement, femmes et hommes sont en moyenne Ă©galement isolĂ©s de leurs amis, quelle que soit la classe d’âge. C’est sur l’isolement vis-Ă -vis de la famille que se joue l’écart : pour chaque classe d’âge, la part de femmes isolĂ©es de leur famille est de 4 Ă  5 points de pourcentage supĂ©rieure Ă  celle des hommes.

Nous avions relevĂ© dans une de nos prĂ©cĂ©dentes notes (PĂ©ron, Perona, and Senik 2019, Figure 9) que la part des personnes Ă©prouvant un sentiment de solitude est globalement stable sur une bonne partie de la vie, et n’augmente significativement qu’à partir de 75 ans. La Figure 1 montre que cette dynamique d’ensemble recouvre de fortes diffĂ©rences entre hommes et femmes. La proportion de femmes qui se sentent seules augmente Ă  partir de 40 ans, pour dĂ©passer 15 % chez les femmes de plus de 80 ans. Chez les hommes aussi, les plus de 80 ans sont les plus nombreux Ă  se sentir seuls, mais la rĂ©partition chez les moins de 80 ans a une forme plus plate, avec une bosse dans la cinquantaine. Cette prĂ©valence de la solitude chez les personnes âgĂ©es pèse naturellement sur leur bien-ĂŞtre. Dans le cas britannique, l’isolement constitue mĂŞme le principal facteur de mal-ĂŞtre chez les personnes âgĂ©es (Clark et al. (2018)).

Fragilités socio-économiques

Comme l’isolement, la solitude est associĂ©e Ă  un ensemble de facteurs de fragilitĂ© socio-Ă©conomiques. Sur le seul plan du niveau de vie, solitude et isolement sont plus frĂ©quents chez les plus pauvres, et leur frĂ©quence diminue avec le niveau de vie (Figure 2). L’écart entre les extrĂ©mitĂ©s de la distribution des niveaux de vie est toutefois plus marquĂ© pour le sentiment de solitude que pour celui d’isolement. Le dĂ©cile le plus Ă©levĂ© de niveau de vie compte ainsi 5 % de personnes qui se sentent très seules, soit seulement deux points de pourcentage de moins que dans l’ensemble de la population.

Isolement et solitude par décile de niveau de vie
Figure 2 : Isolement et solitude par dĂ©cile de niveau de vie Lecture : parmi les personnes du premier dĂ©cile de niveau de vie, 4 % sont isolĂ©es au sens de l’Insee et 14 % se sentent seules. D1 : dĂ©cile de niveau de vie le plus faible

Outre sa relation avec le revenu, la perte des liens sociaux a des effets tangibles sur la capacitĂ© des personnes Ă  faire appel Ă  leur famille ou Ă  leur entourage en cas de coup dur. L’Insee relève ainsi que parmi les personnes qui ont eu besoin d’une aide morale ou matĂ©rielle l’annĂ©e passĂ©e, 91 % l’ont obtenue de leur amis ou de leur familles parmi les personnes qui ne sont pas isolĂ©es, et seulement 61 % chez les personnes isolĂ©es. On observe le mĂŞme phĂ©nomène lorsqu’on passe Ă  des dimensions subjectives, Ă  savoir la solitude et le sentiment de ne pas pouvoir obtenir de l’aide si le cas se prĂ©sentait. La Figure 3 montre ainsi que la part des personnes qui pensent qu’elles ne recevraient pas d’aide de leurs amis ou de leur famille en cas de besoin est plus importante parmi les personnes qui se sentent seules. Comme le montre Ă©galement la Figure 3, le sentiment de ne pas pouvoir obtenir d’aide diminue nettement avec le niveau de vie chez les personnes qui ne se sentent pas seules, mais beaucoup moins chez les personnes seules.

Solitude et impossibilité d'obtenir de l'aide
Figure 3 : Lecture : parmi les personnes du premier dĂ©cile de niveau de vie, 16 % des personnes qui ne se sentent pas seules pensent qu’il leur serait impossible d’obtenir de l’aide de leurs proches ou de leur famille. Cette part est de 27 % pour les personnes de ce dĂ©cile qui se sentent seules. D1 : dĂ©cile de niveau de vie le plus faible

Seules mais pas isolées, et inversement

Si les deux dimensions sont ainsi souvent congruentes, certains groupes sociaux font figure d’exception. Parmi les structures familiales, les parents dans une famille monoparentale ne sont pas particulièrement isolĂ©s : ils sont un peu plus nombreux en proportion Ă  ĂŞtre isolĂ©s de leur famille (12 % contre 10 % en moyenne), mais moins isolĂ©s que la moyenne de leurs amis (12 % contre 16 %). Pourtant, avec 14 % de personnes qui se sentent seules, ces foyers sont deux fois plus touchĂ©s par la solitude que la moyenne. Cette prĂ©valence plus forte de la solitude s’explique certes en partie par la composition de ces mĂ©nages, oĂą la part de femmes et de personnes dans les premiers dĂ©ciles de niveau de vie est plus forte, mais mĂŞme en raisonnant toutes choses Ă©gales par ailleurs, les responsables de familles monoparentales sont 7 % de plus Ă  se sentir seuls que des personnes similaires mais en couple.

Solitude et isolement en fonction de la catégorie socio-professionnelle du ménage
Figure 4 : Lecture : parmi les mĂ©nages relevant de la catĂ©gorie socio-professionnelle « Cadres du secteur privĂ© Â», 2,1 % sont isolĂ©s, et 4,2 % dĂ©clarent se sentir seuls la plupart du temps ou tout le temps. Les lignes verticales et horizontales correspondent Ă  la moyenne dans l’échantillon.

En termes de familles de mĂ©tiers (nous mobilisons ici la nomenclature utilisĂ©e dans Algan et al. (2019), qui diffère lĂ©gèrement de celle employĂ©e communĂ©ment par l’Insee), la Figure 4 montre que les personnes appartenant Ă  un mĂ©nage dont la personne de rĂ©fĂ©rence travaille dans services directs aux particuliers (mĂ©nage, partie de l’hĂ´tellerie-restauration, garde d’enfants, etc.) ont un niveau d’isolement peu diffĂ©rent de celui de la moyenne de la population, mais prĂ©sentent le sentiment de solitude le plus Ă©levĂ© (12 %). Comme prĂ©cĂ©demment, le sentiment de solitude dans ces professions est associĂ© Ă  un plus fort sentiment de ne pouvoir obtenir de l’aide si nĂ©cessaire (15 %, contre une moyenne de 10 %). Le positionnement de ce type de mĂ©tiers sur cette Ă©chelle de la solitude est d’autant plus intĂ©ressant qu’il s’agit pour partie de mĂ©tiers impliquant un contact rĂ©gulier avec d’autres personnes (soins Ă  domicile, garde d’enfants, service en salle): la frĂ©quence des contacts avec des personnes Ă©trangères, dans une relation marchande, ne semble pas empĂŞcher une forte prĂ©valence du sentiment de solitude. Comme nous le verrons plus loin, le sentiment de solitude au sein de cette catĂ©gorie de mĂ©nages s’explique essentiellement par la conjonction en son sein d’autres facteurs importants de solitude (familles monoparentales, faibles revenus, etc.).

Ă€ l’autre extrĂ©mitĂ© du spectre, les cadres et professions intermĂ©diaires souffrent peu tant de l’isolement que de la solitude. Par ailleurs, les policiers et militaires sont plus souvent isolĂ©s, rĂ©sultat logique de la mobilitĂ© gĂ©ographique forcĂ©e (garnisons, opĂ©rations extĂ©rieures), mais aussi de la difficultĂ© de parler avec leur entourage des expĂ©riences difficiles auxquelles ils sont exposĂ©s. Si cet isolement s’accompagne d’un sentiment de solitude plus frĂ©quent que la moyenne (10 % contre 7%), cette frĂ©quence est comparable Ă  celle ressentie dans d’autres groupes, comme les employĂ©s du secteur public.

Dimensions territoriales

Ainsi que le relevait l’Insee, l’agglomĂ©ration de Paris (au sens des unitĂ©s urbaines) compte la plus forte proportion de personnes isolĂ©es vis-Ă -vis de leur famille une fois qu’on neutralise les effets d’âge, de revenu et de qualification. La Figure 5 montre que la solitude est Ă©galement un phĂ©nomène d’abord urbain, mĂŞme si les Ă©carts entre types d’unitĂ©s urbaines sont moins marquĂ©s qu’entre les dĂ©ciles de revenu ou les professions.

Isolement et solitude par type d'unité urbaine
Figure 5 : Lecture : parmi les habitants des communes rurales, 2,7 % sont isolĂ©s et 5,6 % se sentent seuls.

Alors que les agriculteurs sont une profession plutĂ´t touchĂ©e par la solitude (mais dans la moyenne en termes d’isolement, Figure 4), les communes rurales sont plutĂ´t moins affectĂ©es par la solitude, attestant d’un tissu de relations sociales qui reste fort, ce alors que la population y est aussi en moyenne plus âgĂ©e. La faible prĂ©valence du sentiment de solitude dans les communes rurales peut en outre provenir d’un choix, les personnes apprĂ©ciant la tranquillitĂ© et une plus faible frĂ©quence des contacts sociaux.

La dimension gĂ©ographique de la solitude se lit Ă©galement Ă  une Ă©chelle plus fine. Ainsi, les immeubles en citĂ©s ou grands ensemble se distinguent nĂ©gativement dans toutes les dimensions examinĂ©es ici : le taux de personnes isolĂ©es y est plus Ă©levĂ© que dans tous les autres types d’habitat (13 % vis-Ă -vis de la famille, soit près du double de la moyenne, et 19 % vis-Ă -vis des amis), et le sentiment fort de solitude touche 13 % des rĂ©pondants, lĂ  aussi près du double de la moyenne nationale.

On doit évidemment lire dans cet écart un effet de composition, ces quartiers regroupant des populations moins diplômées et plus pauvres que la moyenne, mais même en neutralisant ces dimensions, il demeure un effet propre de ce type de voisinage sur la solitude, montrant que la densité de l’habitat ne se traduit pas nécessairement par l’établissement de rapports sociaux forts.

Au-delà de la concentration des difficultés

Bien souvent, les facteurs de vulnĂ©rabilitĂ© se cumulent : les citĂ©s et grands ensembles accueillent une part supĂ©rieure Ă  la moyenne de personnes Ă  faibles revenus, tandis que les services Ă  la personnes emploient une forte proportion de femmes et offrent des niveaux de rĂ©munĂ©ration souvent faibles. Afin de neutraliser ces effets de composition, nous calculons les impacts de chaque facteur par une rĂ©gression qui permet de raisonner toutes choses Ă©gales par ailleurs.

La Figure 6 restitue les Ă©lĂ©ments qui restent significatifs dans ce cadre (l’ensemble des variables et des rĂ©sultats sont en annexe). Les effets marginaux reprĂ©sentent une augmentation (valeur positive) ou une rĂ©duction (valeur nĂ©gative) de la probabilitĂ© de se sentir très seul par rapport Ă  la modalitĂ© de rĂ©fĂ©rence, que nous rĂ©sumons dans le Tableau 1.

Principaux facteurs explicatifs du sentiment de solitude
Figure 6
Lecture : Par rapport aux modalitĂ©s de rĂ©fĂ©rence, la probabilitĂ© d’une personne seule Ă  dĂ©clarer un fort sentiment de solitude est plus Ă©levĂ©e de 8,3 points de pourcentage (col. A), toutes choses Ă©gales par ailleurs.

Nous prĂ©sentons deux jeux de coefficients dans la mesure oĂą il n’est pas possible de neutraliser en mĂŞme temps l’effet du type d’habitation et celui du type d’unitĂ© urbaine, les deux Ă©tant trop liĂ©s. Les principaux facteurs qui, toutes choses Ă©gales par ailleurs, constituent les facteurs d’un risque plus Ă©levĂ© de se sentir la plupart du temps ou tout le temps seul sont d’abord liĂ©s Ă  la composition du mĂ©nage, avec les personnes seules et les familles monoparentales nettement plus exposĂ©es Ă  ce risque. Par leur profession, les policiers et militaires sont Ă©galement plus exposĂ©s mĂŞme après neutralisation de tous les autres facteurs. En revanche, le secteur du service Ă  la personne ne se distingue plus : la forte prĂ©valence du sentiment de solitude dans ce groupe semble donc procĂ©der principalement de sa structure socio-dĂ©mographique (revenus faibles, personnes seules ou familles monoparentales, etc.).

Le chômage, dont on sait qu’il est par ailleurs un facteur majeur de faible satisfaction de vie, est également un facteur de risque important, équivalent au fait d’être dans une situation d’inactivité contrainte (pour des raisons de santé par exemple, catégorie Autre inactif, qui exclut par exemple les personnes se définissant comme homme ou femme au foyer).

Tableau 1 : ModalitĂ©s de rĂ©fĂ©rence pour les rĂ©gressions

Facteur Référence
Genre Femme
Âge 41-50 ans
Situation En emploi
Revenu Quintile médian (Q3)
Diplôme Bac général
Type de ménage Couple avec enfants
Catégorie pro. Professions intermédiaires secteur privé
Unité urbaine Commune rurale
Habitat Maison en lotissement ou zone pavillonnaire

Parmi les éléments protecteurs, nous retrouvons l’âge et des revenus élevés, ainsi que le fait d’être un homme. Le fait que ce dernier facteur reste significatif toutes choses égales par ailleurs reflète probablement une construction genrée du sentiment de solitude, qui conduit à la fois à des différences dans la propension d’un homme et d’une femme à se sentir (et se déclarer) seul ou seule dans une situation comparable. Les étudiants ont également une propension plus faible à souffrir de la solitude, le rythme des cours assurant un contact social fréquent, même s’ils sont plus souvent que le reste de la population isolés de leur famille.

En termes de territoires, nous trouvons une propension plus Ă©levĂ©e Ă  la solitude Ă  Paris, dans les grande mĂ©tropoles, ainsi que dans les unitĂ©s urbaines comprises entre 20 000 et 99 999 habitants, mais avec dans tous les cas un effet moindre que les caractĂ©ristiques individuelles citĂ©es prĂ©cĂ©demment. La rĂ©sidence en citĂ© ou en grand ensemble a des consĂ©quences assez similaires, ce qui indique que la position extrĂŞme de ces quartiers dans la Figure 6 procède très largement d’un effet de concentration des facteurs de risque individuels pris en compte ici, mais qu’il demeure aussi d’autres facteurs qui Ă©chappent Ă  la prĂ©sente analyse.

Des conséquences de la solitude sur la vie publique

La rupture des liens sociaux a naturellement des conséquences sur le bien-être des personnes qui en sont victimes et sur leur relation à autrui. L’Insee a montré comment de nombreuses dimensions du bien-être étaient plus faibles chez les personnes en situation d’isolement. L’ouvrage Les origines du populisme (Algan et al. (2019)) a montré que deux dimensions subjectives, la satisfaction de vie et la confiance interpersonnelle, jouent un rôle essentiel dans la structuration de l’espace politique français, et qu’ils ont partie liée avec le sentiment de solitude sociale.

Isolement, insatisfactionn et manque de confiance
Fgure 7
Lecture : La part de personnes dĂ©clarant une faible satisfaction de vie est de 18 % pour les non-isolĂ©s et 31 % pour les personnes isolĂ©es. Faible satisfaction de vie et faible confiance sont dĂ©finies comme l’appartenance aux 25 % des rĂ©ponses les plus faibles (satisfaction de vie infĂ©rieure ou Ă©gale Ă  5, confiance interpersonnelle infĂ©rieure ou Ă©gale Ă  3)

Les Figures 7 et 8 montrent qu’isolement et solitude sont bien des facteurs qui pèsent sur la satisfaction dans la vie et sur la confiance que nous accordons Ă  autrui. Nous y reprĂ©sentons pour chaque situation d’isolement ou de solitude la part des personnes ayant une faible satisfaction de vie ou une faible confiance interpersonnelle1. Dans les deux cas, les personnes isolĂ©es ou qui se sentent seules sont moins satisfaites de leur vie et plus dĂ©fiantes.

Solitude, insatisfaction et manque de confiance
Figure 8
Lecture : La part de personnes dĂ©clarant une faible satisfaction de vie est de 16 % pour les personnes qui ne se sentent pas seules et 45 % pour celles qui se sentent seules. Faible satisfaction de vie et faible confiance sont dĂ©finies comme l’appartenance aux 25 % des rĂ©ponses les plus faibles (satisfaction de vie infĂ©rieure ou Ă©gale Ă  5, confiance interpersonnelle infĂ©rieure ou Ă©gale Ă  3)

Le lien entre solitude et faible satisfaction de vie est un rĂ©sultat connu depuis au moins une dizaine d’annĂ©es (Helliwell (2006)). Ici, 45 % des personnes qui se sentent seules se situent dans le quart infĂ©rieur de la population en termes de satisfaction de vie, contre seulement 16 % des autres. Le ratio est moins prononcĂ© en ce qui concerne l’isolement, les isolĂ©s Ă©tant 31 % Ă  dĂ©clarer une faible satisfaction de vie contre 18 % des non-isolĂ©s, soit un rapport de 1,7 environ.

Lorsqu’on considère la confiance interpersonnelle, la part de personnes ayant une faible confiance est similaire chez les isolées et chez les personnes qui se sentent seules, avec là aussi un rapport avec le reste de la population de l’ordre de 1,7.

Lorsqu’on raisonne toutes choses Ă©gales par ailleurs (Tableau 3, en annexe), l’impact de la solitude et de l’isolement sur la confiance interpersonnelle restent comparables, mais la solitude a un effet trois fois plus Ă©levĂ© sur la satisfaction de vie. En d’autres termes, il semble que la solitude soit un facteur de mal-ĂŞtre plus puissant que l’isolement – d’autant plus que le sentiment de forte solitude est plus rĂ©pandu dans la population – et que l’isolement comme la solitude Ă©rodent la confiance que nous avons envers autrui.

Conclusion

Pendant subjectif de l’isolement, le sentiment de solitude est congruent avec le manque de contact chez un certain nombre de populations fragiles, comme les personnes très âgĂ©es (plus de 80 ans), celles peu diplĂ´mĂ©es, celles aux revenus faibles ainsi que celles habitant les citĂ©s et grands ensembles. Il met en revanche en Ă©vidence des poches de fragilitĂ©s Ă  d’autres endroits de la sociĂ©tĂ©, oĂą en dĂ©pit de contacts avec les amis ou la famille proches de la moyenne, le sentiment de solitude est fort : familles monoparentales, employĂ©s des services Ă  la personne par exemple. En combinant ces deux groupes, nous en retirons l’impression que le sentiment de solitude doit quelque chose au manque de liens faibles avec la sociĂ©tĂ© dans son ensemble, au-delĂ  du cercle de la famille et des amis. Ce manque de liens faibles, personnels ou institutionnels, se traduit pour tous ces groupes par une difficultĂ© plus importante Ă  obtenir de l’aide quand le besoin s’en fait sentir, ce qui met en Ă©vidence que le sentiment de solitude va pour ces populations de pair avec une prĂ©caritĂ© non seulement ressentie, mais effectivement expĂ©rimentĂ©e.

Annexes

Données et méthodologie

L’enquĂŞte Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV) couvre chaque annĂ©e 21 000 personnes âgĂ©es de 16 ans ou plus et vivant en mĂ©nage ordinaire. Nous ne retenons ici que les 15 000 personnes rĂ©pondant en personne, face-Ă -face avec une enquĂŞteur. Les questions sur la frĂ©quence des contacts et sur le sentiment de solitude ont Ă©tĂ© posĂ©es pour la dernière fois en 2015. La question sur la confiance interpersonnelle ayant Ă©tĂ© posĂ©e pour la dernière fois en 2013, nous avons pour les Figures 7 et 8 considĂ©rĂ© les personnes prĂ©sentes dans les deux vagues, en leur imputant leurs rĂ©ponses de 2013 sur la satisfaction de vie et la confiance, et leurs rĂ©ponses de 2015 sur l’isolement et la solitude.

Bibliographie

Algan, Yann, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, and Martial Foucault. 2019. Les origines du populisme: enquĂŞte sur un schisme politique et social. Paris, France: Seuil.

Clark, Andrew, Sarah Flèche, Richard Layard, Nattavudh Powdthavee, and George Ward. 2018. The Origins of Happiness. Princeton: Princeton Unversity Press.

Crédoc et Fondation de France. 2019. Isolement relationnel et mobilité, Paris, Novembre. https://www.fondationdefrance.org/fr/lever-les-freins-la-mobilite-pour-lutter-contre-la-solitude

Gleizes, François, SĂ©bastien Grobon, and StĂ©phane Legleye. 2019. “3 % Des Individus IsolĂ©s de Leur Famille et de Leur Entourage : Un Cumul de DifficultĂ©s SocioĂ©conomiques et de Mal-ĂŞtre – Insee Première – 1770.” Insee Première, no. 1770, Septembre. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4205228.

Helliwell , John, “Well-Being, Social Capital And Public Policy: What’s New?,” Economic Journal, 2006, v116(510,Mar), C34-C45.

PĂ©ron, Madeleine, Mathieu Perona, and Claudia Senik. 2019. “Note de l’Observatoire du Bien-ĂŞtre n°2019-07 : Le Passage Ă  la retraite.” 2019-07. Observatoire du Bien-ĂŞtre du CEPREMAP. https://www.cepremap.fr/2019/09/note-de-lobservatoire-du-bien-etre-n2019-07-le-passage-a-la-retraite/.

Serres, Jean-François. 2017. “Combattre l’isolement social pour plus de cohésion et de fraternité.” 2017-17. Conseil économique, social et environnemental. https://www.lecese.fr/travaux-publies/combattre-l-isolement-social-pour-plus-de-cohesion-et-de-fraternite.

Résultats détaillés des économétries

DĂ©terminants du sentiment de solitude : rĂ©sultats dĂ©taillĂ©s

Effets sur la satisfaction de vie et la confiance : rĂ©sultats dĂ©taillĂ©s

Les contrôles dans les régressions ci-dessous incluent le diplôme (indicatrices), le décile de revenu(indicatrices, l’âge, l’âge au carré et le sexe. Les variables expliquées sont standardisées. Les coefficients indiqués sont le résultat d’une régression linéaire par les moindres carrés.

  1. La faible satisfaction de vie regroupe les 25 % de réponses les plus faibles à cette question (réponses inférieures ou égales à 5 sur une échelle de 0 à 10), et la faible confiance désigne de même les 25 % des réponses les plus faibles à la question correspondante (réponses inférieures ou égales à 3 sur une échelle de 0 à 10).