Note de l’Observatoire du Bien être n°2016-01 Revenu et bien-être

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L’argent fait-il le bonheur ? Dans cette Note nous examinons les grandes lignes de la relation entre niveau de vie et bien-être en utilisant les données d’une enquête annuelle de 14 000 habitants en France réalisée par l’INSEE (Dispositif SRCV[1]). Dans la dernière enquête disponible – l’enquête de 2013 –, à la question « Sur une échelle de 0 à 10, indiquez votre satisfaction concernant la vie que vous menez actuellement »,  les sondés répondent en moyenne 7.1.  Mais cette moyenne cache des disparités. Les plus riches sont-ils les plus satisfaits ?

Une augmentation du niveau de revenus est positivement corrélée avec la satisfaction pour la vie en général, mais pas de la même façon pour les plus pauvres et les plus aisés, et pas dans la même mesure pour les différents domaines de la vie (loisirs, logement, relations sociales, travail). Monter dans l’échelle des revenus améliore réellement le bien-être des plus pauvres, mais, à partir d’un certain niveau de richesse, gagner encore plus apporte une augmentation de satisfaction beaucoup plus modeste. Et si avec plus d’argent on peut s’offrir un meilleur logement et de meilleurs loisirs, l’argent n’achète pas les relations sociales…

Auteur :

Laura Leker, assistante de recherche à l’Observatoire du Bien-être du CEPREMAP

Une relation croissante, jusqu’à un certain point

La relation entre satisfaction et revenu par unité de consommation (RUC) est croissante, mais à partir de 30 000 euros par an, la satisfaction stagne, et ne réaugmente légèrement que pour les plus aisés.

La satisfaction concernant la vie en général croît avec le revenu par unité de consommation du ménage (RUC)[2], mais de moins en moins vite. Au-delà du seuil de  30 000 euros par an, soit pour les 20% de ménages les plus aisés en France, la satisfaction stagne autour de 7,5. Seuls les 5% les plus riches (RUC supérieur à 50 000 euros par an) connaissent une nouvelle augmentation à 7,8.

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Mais le revenu n’a pas la même importance pour les différentes dimensions de la vie.

  • Pour le logement, la satisfaction augmente de façon assez linéaire avec le niveau de vie.
  • Les loisirs sont la dimension de vie dont le niveau de revenus est le plus discriminant. La satisfaction visà-vis des loisirs augmente fortement jusqu’à la tranche 25 000-30 000 euros, et au-delà, c’est-à-dire pour les 20% les plus aisés, continue à augmenter, mais moins fortement.
  • Pour les relations, dont les Français sont le plus satisfaits, le niveau de vie est très peu discriminant – on n’observe une corrélation positive avec le RUC que pour les tranches inférieures à 15 000 – 20 000 euros, c’est-à-dire pour les 20% des ménages les moins aisés en France.

Revenu et emploi

Pour les individus qui travaillent, gagner plus est associé à une plus grande satisfaction pour les différents domaines de la vie, sauf pour les très hauts niveaux de salaires pour lesquels la satisfaction vis-à-vis des loisirs et des relations sociales décroît.

La relation croissante entre satisfaction et salaire net par an (voir la distribution) se retrouve pour la vie en général, avec une moyenne à 7,0 pour les tranches de salaire les plus faibles, et à nouveau une stagnation autour de 7,7 à partir de 30 000 euros nets par an. Pour le logement, l’augmentation de la satisfaction en fonction du niveau de salaire est à nouveau plus linéaire, ainsi que pour le travail, bien qu’elle soit plus modeste.

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En revanche, si les satisfactions pour les relations et les loisirs croissent jusqu’à 30 000 euros nets par an (faiblement pour les relations, de 7,8 à 8, plus fortement pour les loisirs, de 6,6 à 7,3), elles décroissent ensuite. Pour les relations avec les proches, les salaires les plus hauts correspondent à la satisfaction la plus basse (7,5). Pour les loisirs, ceux qui reçoivent les plus hauts salaires ont un niveau de 7, comparable au niveau de ceux qui gagnent la moitié.

Âge

Pour notre satisfaction générale, la comparaison de notre niveau de revenu avec celui de nos pairs a peu d’importance quand on est jeune. Cependant, à mesure que l’on avance en âge, notre position par rapport à nos pairs dans l’échelle des revenus est de plus en plus corrélée à notre niveau de bien-être, jusqu’aux âges de 50-60 ans. Cette corrélation diminue à nouveau pour les âges avancés, au-delà de 70 ans. Par ailleurs, la satisfaction diminue généralement avec l’âge.

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La satisfaction globale décroît avec l’âge, et d’autant plus vite que l’on appartient aux quintiles inférieurs de revenus par u.c. de son groupe d’âge, jusqu’à la tranche 50-60 ans. Faire partie des moins favorisés de son groupe d’âge est moins discriminant quand on est jeune. L’écart de satisfaction au sein des 20-30 ans est le plus faible alors qu’il est maximal pour les 50-60 ans. Le revenu par u.c. est à nouveau moins discriminant pour les âges avancés, d’une part car on observe une augmentation de la satisfaction des 60-70 ans qui se placent dans les quintiles inférieurs par rapport à leur groupe d’âge, et d’autre part, car la satisfaction baisse plus fortement entre la tranche 60-70 ans et 70 ans et plus pour ceux qui se placent dans quintile supérieur de leur groupe d’âge.

Genres

Les femmes sont moins satisfaites que les hommes concernant leurs loisirs, et le différentiel est plus important pour les ménages qui ont des enfants et des revenus bas, suggérant que cela provient d’une inégale répartition du travail domestique.

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La différence de satisfaction entre les hommes et femmes est négligeable pour la vie en général et ses différentes dimensions (voir les lignes bleues sur la Figure 4), à l’exception des loisirs, pour lesquels les femmes sont moins satisfaites que les hommes. Le différentiel entre hommes et femmes est plus important pour ceux qui ont des enfants à charge, et pour les bas revenus par unité de consommation (RUC).

On remarque que la satisfaction pour les loisirs est très proche de la satisfaction pour la vie en général, et que les hommes et les femmes reportent des niveaux similaires pour ceux qui n’ont pas d’enfants (graphique de droite sur Figure 4). En revanche, la situation est très différente pour ceux qui ont des enfants. Même si leurs satisfactions de vie en général restent assez proche (les lignes bleues sur le graphique de gauche), pour les RUC inférieurs à la médiane (21 000 euros par an), les hommes gardent une satisfaction vis-à-vis des loisirs beaucoup plus haute (ligne jaune continue), mais les femmes ont une satisfaction vis-à-vis des loisirs nettement plus basse (ligne jaune discontinue).  À partir du RUC médian, cette différence devient moins nette, car la satisfaction des hommes vis-à-vis des loisirs commence à diminuer (relativement à la satisfaction pour la vie en général).

Régions

Fait-il bon vivre dans les régions les plus riches ? Pas nécessairement. En particulier, l’Île-de-France, région de loin la plus aisée, a des niveaux de satisfaction moyens bas notamment pour le loisir ou le logement. Le Nord, défavorisé économiquement, a des niveaux de satisfaction très bas dans tous les domaines, sauf pour le travail. Pour toutes les autres régions, on n’observe pas de nette corrélation entre RUC médians et niveaux de satisfaction moyens.

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La répartition de la satisfaction sur le territoire français est assez peu corrélée avec la répartition du revenu par unité de consommation (RUC) des ménages. A l’exception de l’Île-de-France, on peut observer une relation croissante entre le RUC médian par ZEAT (zone d’études et d’aménagement du territoire) et satisfaction en général, mais cette relation ne se retrouve pas pour les différents domaines de la vie. A titre d’exemple, l’Est et la Méditerranée ont un RUC médian équivalent ; pourtant, la satisfaction pour les loisirs et les relations est bien plus élevée dans l’Est, alors que les niveaux de satisfaction pour le logement et pour le travail sont bien plus élevés en Méditerranée.

Le Nord, la région la plus pauvre avec un RUC médian des ménages autour de 19 300 euros, a un niveau de satisfaction beaucoup plus bas que les autres régions. Ce « décrochage » par rapport aux autres régions se retrouve pour tous les domaines de la vie, à l’exception de la satisfaction vis-à-vis du travail pour laquelle le Nord se situe en troisième position derrière la Méditerranée et l’Ouest.

L’Île-de-France qui est de loin la zone la plus riche (RUC médian autour de 25 200 euros), a un niveau de satisfaction comparable au Bassin parisien, dont le RUC médian est autour de 21 400 euros. L’Île-de-France a également un bas niveau de satisfaction pour les loisirs, et bien plus encore pour le logement.

Notes

[1]En 2008, la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi a montré qu’il était crucial pour s’orienter vers une meilleure compréhension de la performance économique et du progrès social, de ne plus s’en tenir à l’approche quantitative de croissance du PIB, mais de prendre en compte des mesures de bien-être subjectif des populations. En réponse à cette préconisation, une série de questions sur le bien-être a été introduite dès 2010 dans le questionnaire de l’enquête SRCV (Statistiques sur les revenus et conditions de vie dans l’Union européenne), volet français de l’enquête européenne EU-SILC.
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[2]
Le revenu par unité de consommation (RUC) est le revenu fiscal total d’un ménage, divisé par le nombre d’unités de consommation. Ce revenu fiscal inclut tous les transferts et allocations, nets d’impôts. Cette formulation permet de prendre en compte la taille et la composition du ménage dans l’analyse, mais n’est pas le même que salaire par mois pour un individuel. Dans l’enquête utilisée, le graphique ci-dessous donne la distribution du RUC dans l’échantillon.

Distrubution RUC EU-SILC 2013

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[3]
Salaire distribution

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