Estime de soi et performances scolaires en primaire : les enseignements du panel DEPP 2011

Note
Observatoire du bien-ĂŞtre

L’enquête de panel du service statistique de l’Éducation Nationale permet de suivre plus de 15 000 élèves, entrés au CP en 2011 et interrogés également en CM2 en 2016. On dispose grâce à l’enquête de nombreuses informations sur la situation des élèves (familiale, bien-être, …) et une évaluation de leurs performances scolaires.

À l’entrée au CP, les filles sont plus contentes d’elles-mêmes et de leur vie que les garçons en moyenne. Une fois en CM2, cet écart s’inverse, même si les filles semblent plus comblées par leur vie lorsque les questions n’ont plus trait à l’estime de soi.

En matière de performances scolaires, les filles sont lĂ©gèrement plus fortes que les garçons en CP, mais l’écart s’inverse Ă©galement en CM2 Ă  la faveur des garçons. Cette inversion tient Ă  la composition des Ă©valuations : si les filles restent plus fortes que les garçons en français, l’évaluation de CM2 comprend davantage de compĂ©tences en mathĂ©matiques. Or, au cours de la scolaritĂ© en primaire, les garçons finissent par obtenir de bien meilleures notes que les filles en mathĂ©matiques alors que la diffĂ©rence initiale de niveau Ă©tait quasi invisible. Par ailleurs, les filles et les garçons se distinguent aussi par la manière dont ils Ă©valuent leurs propres capacitĂ©s scolaires : les filles se voient mieux adaptĂ©es au cadre scolaire tandis que les garçons ont plus le sentiment de rĂ©pondre aux questions posĂ©es par le professeur en classe.

Les performances scolaires dans l’enquête reflètent aussi le milieu social des élèves, et l’écart entre les moins favorisés et les plus favorisés s’accentue du CP au CM2. Pourtant, au CP, les élèves défavorisés ont une perception plus positive de leurs capacités scolaires que leurs camarades, y compris à performance égale. Arrivés en CM2, plus les élèves viennent de milieux favorisés, plus ils ont le sentiment de bien réussir à l’école. Enfin, il n’y a pas de différences réelles de bien-être selon l’origine sociale.

Nous remercions la Direction de l’Ă©valuation, de la prospective et de la performance pour ses commentaires qui ont largement contribuĂ© Ă  l’amĂ©lioration de cette Note.

Dylan Alezra, Observatoire du Bien-ĂŞtre du Cepremap, dylan.alezra@cepremap.org

Sarah Flèche, CNRS, Paris 1 et Cepremap, sarah.fleche@univ-paris1.fr

Elizabeth Beasley, Observatoire du Bien-ĂŞtre du Cepremap, elizabeth.beasley@cepremap.org

Mathieu Perona, Observatoire du Bien-ĂŞtre du Cepremap, mathieu.perona@cepremap.org

Claudia Senik, Sorbonne-Université, PSE et Cepremap, senik@pse.ens.fr

Publication : 05 juillet 2021

Introduction

Depuis plus de 70 ans, les services statistiques du Ministère de l’Éducation nationale1 conduisent de riches enquĂŞtes dans les Ă©tablissements d’éducation primaire. Nous mobilisons dans cette Note le panel d’élèves 20112, formĂ© de 15 000 enfants entrĂ©s en CP en 2011 et interrogĂ©s ensuite au CM2 puis chaque annĂ©e au collège jusqu’en 2020.

Grâce à cette enquête, nous connaissons le milieu socio-économique des enfants, leurs performances à des tests standardisés conçus par le Ministère, mais aussi un ensemble d’évaluations de leur image d’eux-mêmes, de leur vie et de leurs performances scolaires. La comparaison des mêmes élèves en CP et en CM2 montre qu’au cours du primaire se construisent des écarts entre genres et entre milieux sociaux quant à la perception de soi et à la performance scolaire.

La DEPP a naturellement adapté les modalités de l’enquête à des enfants. Par rapport à l’échelle numérique de 0 à 10 qui est le plus souvent utilisée pour les adultes, le positionnement a été réduit à quatre possibilités3. Pour les enfants les plus jeunes, ces modalités sont illustrées par des smileys, la correspondance entre les smileys et les réponses étant rappelée par l’enseignant.

À la plupart des questions, les enfants choisissent dans leur très grande majorité la modalité la plus positive. Nous comparons donc la part des enfants qui sélectionnent cette modalité avec la part des enfants qui choisissent l’une des autres.

Construction de l’estime de soi : la divergence entre filles et garçons

Les petites filles de ce panel sont arrivées en CP avec en moyenne une estime d’elles-mêmes plus positive que celle des petits garçons. Lorsqu’on leur demande si elles sont contentes d’elles et contentes de leur vie, elles donnent une réponse plus élevée que celle des garçons (Figure 1 ).

Figure 1
Les barres noires représentent les intervalles de confiance.

Cinq ans plus tard, en CM2, le niveau global des rĂ©ponses a diminuĂ©, ce qui reflète peut-ĂŞtre la plus grande maturitĂ© des Ă©lèves de CM2, qui fournissent des rĂ©ponses plus nuancĂ©es. Surtout, les positions des deux genres se sont inversĂ©es. Les garçons sont dĂ©sormais 62 % Ă  rĂ©pondre qu’ils sont très contents d’eux-mĂŞmes, tandis que les filles ne sont plus que 57 % le dire, une chute de 18 points de pourcentage par rapport Ă  leur niveau du CP.

Figure 2

Des questions supplĂ©mentaires, posĂ©es uniquement en CM2, fournissent des informations complĂ©mentaires. Elles demandent aux enfants d’évaluer leur vie plutĂ´t que de s’évaluer eux-mĂŞmes : « La plupart du temps, ma vie ressemble Ă  celle que je voudrais avoir Â» et « Jusqu’à maintenant, j’ai eu toutes les choses importantes que je voulais dans la vie Â». (Figure 2) Ă€ ces questions, les filles rĂ©pondent plus positivement que les garçons. Leur moins bonne image d’elles-mĂŞmes ne traduit pas une plus mauvaise Ă©valuation de leur vie d’ensemble, mais une vision moins positive de ce qu’elles sont.

Notons que ces diffĂ©rences pourraient s’expliquer par le fait qu’aux questions Ă©voquĂ©es, les filles choisissent des modalitĂ©s de rĂ©ponse moins tranchĂ©es que les garçons. Enfin, les filles se dĂ©crivent moins souvent que les garçons comme agitĂ©es et rĂ©sistantes Ă  l’autoritĂ© des adultes (Figure 3).

Figure 3

L’appréciation des performances scolaires

Écarts de genre dans les performances scolaires

L’évaluation du niveau des Ă©lèves constitue un des sujets centraux de l’enquĂŞte. Ă€ l’entrĂ©e en CP, les filles surclassent les garçons d’environ 20 % d’un Ă©cart-type (environ 0,5 points sur une Ă©chelle de 0 Ă  204). Cet Ă©cart s’inverse, et s’attĂ©nue lĂ©gèrement en CM2 : les garçons ont alors des performances un peu supĂ©rieures Ă  celles des filles (Figure 4).

Figure 4. Les performances scolaires sont mesurées par un indicateur standardisé, rééchelonné de 0 à 20

L’avantage des filles en CP résulte d’une meilleure performance en lecture, leurs résultats en mathématiques étant comparables à ceux des garçons. En CM2, la liste des compétences évaluées est plus longue et détaillée. En particulier, un plus grand nombre d’items concernent les mathématiques, domaine où les garçons ont désormais des performances moyennes plus élevées que celles des filles. Ces dernières conservent un avantage dans la quasi-totalité des compétences liées au langage.

Le croisement des performances moyennes représenté sur la Figure 5 reflète donc à la fois une progression plus forte des garçons en mathématiques et un poids plus important des mathématiques dans l’indicateur de score global. Si ce dernier point relève d’un effet de composition, il reflète aussi en partie la place importante qu’occupent les mathématiques dans le système scolaire français. On peut remarquer que l’avantage comparatif des filles dans les matières littéraires, mis en évidence par Breda et al. (2019), est déjà présent au le CP.

Figure 5. Les performances scolaires sont mesurées par un indicateur standardisé, rééchelonné de 0 à 20

Des écarts de perception

Les enquĂŞtes PISA ont montrĂ© qu’arrivĂ©es Ă  15 ans, les filles ont, Ă  performances Ă©gales, une moins bonne opinion de leur niveau scolaire que les garçons. Ă€ l’école primaire, le panel de la DEPP donne une vision plus contrastĂ©e au primaire. Les filles ont plus que les garçons l’impression de bien travailler Ă  l’école (Figure 6). Elles se positionnent de manière similaire aux garçons quant Ă  leur impression de retenir les contenus et d’y arriver aussi bien que les autres. Elles sont en revanche en retrait lorsqu’on leur demande si elles trouvent les rĂ©ponses aux questions en classe (Figure 7).

Performances scolaires : des Ă©valuations socialement marquĂ©es

La perception des performances scolaires selon l’origine sociale

F igure 8 Comme l’ont montré les enquêtes PISA, le milieu d’origine joue en France un rôle particulièrement important dans la réussite scolaire5 ce qui fait l’objet de nombreuses recherches qui en détaillent les aspects6 et les ressorts7. À l’image de recherches antérieures, nous observons sur ce panel que les différences de performances scolaires sont marquées dès le CP. Elles s’accroissent au cours du primaire, les écarts étant plus marqués dans les évaluations de CM2 (Figure 8).

Figure 8

Contrairement aux performances, en CP, la perception par les jeunes élèves de leur niveau scolaire dépend peu de leur origine sociale. Les évaluations sont globalement les mêmes, avec une appréciation un peu plus positive de leur niveau par les enfants issus de milieux défavorisés. Cinq ans plus tard, l’image que les élèves ont de leur niveau scolaire s’est alignée sur leurs résultats effectifs. Cette stratification se retrouve également dans l’enquête Panel de 2007. L’inclusion ou non des redoublants dans le panel (environ 8%) n’affecte pas ces résultats.

Les Figures 9 et 10 donnent le dĂ©tail de cette reprĂ©sentation de la performance scolaire. Toutes illustrent le renversement de la manière dont les enfants Ă©valuent leurs performances scolaires selon leur milieu social d’origine. Ce changement est particulièrement marquĂ© sur les questions « Je travaille bien Ă  l’école Â» et « En classe, j’y arrive aussi bien que les autres Â».

L’évolution est qualitativement similaire mais moins marquĂ©e sur les questions « Je me rappelle facilement ce que j’apprends Ă  l’école Â» et « En classe, je trouve les rĂ©ponses aux questions Â». ArrivĂ©s en CM2, les enfants issus de milieux dĂ©favorisĂ©s ont ainsi une apprĂ©ciation de leurs capacitĂ©s – ici, celle Ă  retenir les contenus scolaires – peu diffĂ©rente de celle qu’ont les enfants issus des classes favorisĂ©s. L’écart se creuse sur leur facilitĂ© Ă  trouver les rĂ©ponses et Ă  travailler en gĂ©nĂ©ral; mais il devient massif quand il s’agit de se comparer : un quart seulement des enfants issus d’un milieu dĂ©favorisĂ© estiment s’en sortir aussi bien que les autres, contre 55 % des enfants issus de milieux très favorisĂ©s.

Les perceptions en CM2 sont par ailleurs en accord avec les performances scolaires telles que mesurées par les tests passés par les élèves. Rappelons qu’en CP comme en CM2, l’évaluation des élèves se fait par compétences, et que dans la plupart des classes, ils ne reçoivent plus de notes chiffrées. Ce sont les parents qui reçoivent un livret d’évaluation, à lire avec l’enfant. Malgré ce dispositif, les enfants semblent bien conscients en CM2 de leur place relative en termes de performances scolaires – un signe que les écarts sont visibles au quotidien pour une grande partie d’entre eux.

5Mais pas de différences de bien-être selon les catégories sociales

Contrairement aux performances scolaires et Ă  leur perception, les enfants du primaire apportent tous peu ou prou les mĂŞmes rĂ©ponses aux questions leur demandant s’ils sont contents de leur vie ou d’eux-mĂŞmes. Leurs rĂ©ponses Ă  ces questions sont un peu plus faibles en CM2 qu’en CP, mais plus de 60 % des Ă©lèves continuent Ă  ĂŞtre tout Ă  fait d’accord avec l’idĂ©e qu’ils sont contents de leur vie.

Si on compare directement les réponses données par les élèves à ces questions, les enfants issus de milieux très défavorisés sont un petit peu plus nombreux à être très satisfaits de leur vie et de ce qu’ils sont que les enfants issus de milieux très favorisés (Figure 11).

Figure 11

Une approche toutes choses Ă©gales par ailleurs montre qu’il existe bien une relation positive entre les rĂ©sultats scolaires et les rĂ©ponses Ă  ces questions : les enfants qui ont de meilleurs rĂ©sultats expriment un niveau de satisfaction plus Ă©levĂ©. En revanche, Ă  performances Ă©gales, les enfants en CM2 sont d’autant moins satisfaits qu’ils sont issus d’un milieu social plus favorisĂ©, et les filles sont, Ă  performances et milieu identiques, plus satisfaites que les garçons. Ces diffĂ©rences de satisfaction semblent reflĂ©ter des niveaux d’exigence et d’attente diffĂ©rents Ă  l’égard des enfants.

Annexe

Bien-ĂŞtre

Questions disponibles en 2011 et en 2016

Sur une Ă©chelle de 1 (Tout Ă  fait d’accord) Ă  4 (Pas du tout d’accord), que pensez vous de ces affirmations ?

  • Je suis content de ma vie
  • Je suis content de moi
  • Je voudrais ĂŞtre quelqu’un d’autre
  • Je voudrais ĂŞtre diffĂ©rent

Questions disponibles en 2016

Sur une Ă©chelle de 1 (Pas du tout d’accord) Ă  5 (Tout Ă  fait d’accord), que pensez vous de ces affirmations ?

  • La plupart du temps, ma vie ressemble Ă  celle que je voudrais avoir
  • Jusqu’à maintenant, j’ai eu toutes les choses importantes que je voulais dans la vie
  • Mes conditions de vie sont excellentes

Performances scolaires

Les élèves sont évalués sur un ensemble de compétences pour construire une moyenne générale. Les compétences évaluées en 2011 et en 2016 sont différentes, pour correspondre à la spécificité du niveau scolaire.

Dans la présente note, nous avons changé l’échelle des scores obtenus par les élèves pour obtenir des notes allant de 0 à 20, pour chaque compétence, et groupes de compétences.

En 2011

  • ComprĂ©hension orale
  • Écriture
  • Maths
  • MĂ©morisation
  • Nombres et figures gĂ©omĂ©triques
  • Phonologie
  • PrĂ©-lecture
  • Concepts de temps

En 2016

  • ComprĂ©hension orale
  • Tenue du cahier
  • Étude de la langue
  • Français
  • GĂ©omĂ©trie
  • Grandeurs et mesures
  • Lecture de graphiques et de tableaux
  • Connaissances lexicales
  • Maths
  • Problèmes

Catégories sociales selon la DEPP

Les catégorisations en quatre grands groupes sociaux (Très favorisés, favorisés, classes moyennes et défavorisés) est construite à partir de la catégorie socio-professionnelle du père de l’élève.

Très favorisĂ©s : cadres, chefs d’entreprises, professions intellectuelles et professions libĂ©rales

FavorisĂ©s : professions intermĂ©diaires

Classes moyennes : artisans, commerçants, et employĂ©s

DĂ©favorisĂ©s : ouvriers et personnes sans activitĂ©s

Bibliographie

Le numéro 95 d’Éducation et Formations de décembre 2017 constitue une vitrine des panels de la DEPP.

direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Éducation et Formations, « Les panels d’Ă©lèves de la DEPP : source essentielle pour connaĂ®tre et Ă©valuer le système Ă©ducatif Â», 95, dĂ©cembre 2017, https://www.education.gouv.fr/media/13823/download

Thomas Breda, Clothilde Napp, “Girls comparative advantage in reading can largely explain the gender gap in math-related fields”, PNAS, 2019, https://www.pnas.org/content/116/31/15435

OCDE, Résultats du PISA 2015. L’excellence et l’équité dans l’éducation (Volume I), 2016, https://www.oecd.org/fr/education/resultats-du-pisa-2015-volume-i-9789264267534-fr.htm

Mathieu Ichou et Louis-AndrĂ© Vallet, « Performances scolaires, orientation et inĂ©galitĂ©s sociales d’éducation Â», Éducation et formations, 82, 2012, https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/document/DEPP_EetF_2012_82_Performances_scolaires_orientation_237314.pdf

Meuret Denis, Morlaix Sophie, « L’influence de l’origine sociale sur les performances scolaires : par oĂą passe-t-elle ? Â», Revue française de sociologie, 2006/1 (Vol. 47), p. 49-79. DOI : 10.3917/rfs.471.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2006-1-page-49.htm

  1. Il s’agit aujourd’hui de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), qui publie chaque année un grand nombre de Notes d’information sur l’ensemble du paysage scolaire français.
  2. La DEPP rassemble sur une page dédiée les informations et publications relatives à ses enquêtes en panel.
  3. « Tout à fait d’accord », « Un peu d’accord », « Pas d’accord » et « Pas du tout d’accord ».
  4. La DEPP exprime les performances par un indicateur standardisé. Pour faciliter la compréhension, nous avons exprimé cet indicateur sur l’échelle familière des notes de 0 à 20.
  5. OCDE, Résultats du PISA 2015. L’excellence et l’équité dans l’éducation (Volume I), 2016
  6. Par exemple Mathieu Ichou et Louis-AndrĂ© Vallet, « Performances scolaires, orientation et inĂ©galitĂ©s sociales d’éducation Â», Éducation et formations, 82, 2012.
  7. Par exemple Meuret Denis, Morlaix Sophie, « L’influence de l’origine sociale sur les performances scolaires : par oĂą passe-t-elle ? Â», Revue française de sociologie, 2006/1 (Vol. 47), p. 49-79. DOI : 10.3917/rfs.471.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2006-1-page-49.htm