Préambule

Le Conseil de développement de l’Eurométropole de Strasbourg a conduit en 2017 une enquête en ligne, co-construite avec les habitants, sur le thème du bien-être et la qualité de vie. Suite à la parution en avril-mai 2018 d’une première restitution1 le Conseil de développement a sollicité l’Observatoire du bien-être du CEPREMAP pour une conférence portant sur l’économie du bien-être subjectif, avec un accent particulier sur les méthodes de mesure, les déterminants et l’utilisation de cette métrique dans la conduite d’actions par les collectivités locales. Cette conférence a été donnée le 17 Octobre 2017 à la Cité de la Musique et de la Danse de Strasbourg.

Présentation utilisée lors de la conférence

1 Introduction

Est-ce le rôle d’un bon gouvernement que d’assurer le bonheur de sa population ? Cette idée a une riche et longue histoire, puisqu’on la trouve déjà discutée pendant l’Antiquité, que ce soit en Grèce ou en Chine, avec dans les deux cas l’idée que le bonheur s’obtient par l’adéquation avec un ordre cosmique, naturel, que chacun doit suivre et dont le politique est le garant. Comme ce n’est pas ici le lieu de retracer cette histoire, je me bornerai à dire que pour l’époque contemporaine, cette idée procède essentiellement de la doctrine utilitariste. Celle-ci évalue la valeur morale de toute action en fonction des plaisirs et des peines qu’elle cause. Partant de ce principe, le rôle du bon gouvernement est d’assurer « le plus grand bonheur du plus grand nombre »2. En 1768, quand Bentham lit cette phrase, le bonheur passe d’abord par l’amélioration des conditions de vie matérielle. Bentham vit alors dans un monde où :

  • la quasi-totalité de la population vit dans la pauvreté,
  • pratiquement un enfant sur deux meurt avant l’âge de cinq ans,
  • l’espérance de vie à la naissance est d’environ 35 ans,
  • l’alphabétisation est la marque d’un élite.

Pendant près de 200 ans, cette recherche d’une vie matérielle meilleure a orienté les politiques publiques en direction de la croissance économique. Les résultats en sont, il est important de le rappeler, spectaculaires (figure 1.1), et plus encore si on se rappelle que la population mondiale est passé de un à sept milliards d’individus sur la même période.

Deux siècles de développement économique

Figure 1.1: Deux siècles de développement économique

À la lumière de ce graphique, on comprend pourquoi ce n’est que dans le troisième quart du XXe siècle et dans les pays développés qu’émerge une contestation de la primauté donnée à la croissance économique. La contre-culture, qui porte la critique de la recherche du bonheur dans la consommation de masse, et la réalisation des dégâts environnementaux du mode de développement industriel, conduisent à rechercher des métriques alternatives au produit intérieur brut pour mesurer le développement. Les années 1990 voient ainsi émerger l’indice de développement humain au niveau international, et au niveau local les classements des palmarès des villes où il faut bon vivre.

Dans la lignée de ces travaux, Nicolas Sarkozy lance en 2008, à la veille de la crise financière, la Commission Sen-Fitoussi-Stiglitz. Celle-ci réunit les plus grands experts mondiaux de la croissance et du choix social dans le but de construire un indicateur croisant les objetifs de développement économique et social, et de soutenabilité. Au rebours de l’envie des décideurs de disposer d’un indicateur unique pour remplacer le PIB, cette commission recommande l’emploi d’un tableau de bord, restituant une pluralité d’indicateurs, organisés en trois piliers :

  1. Production de richesse, autour d’un PIB fiabilisé dans son mode de calcul,
  2. Bien-être, avec un croisement d’évaluations subjectives et objectives (inégalités),
  3. Soutenabilité du développement.

Cette position reflète le constat que les indicateurs composites sont aussi délicats à construire qu’à manipuler. L’approche en tableau de bord évite ainsi d’escamoter des arbitrages implicites dans la construction et simplifie l’analyse des évolutions.

Ce rapport a un retentissement international majeur, et génère un regain massif d’intérêt pour la mesure du bien-être subjectif, domaine qui s’est développé à partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les économistes sont mis là en face d’un défi nouveau : l’analyse des données de bien-être fait apparaître que les informations collectées sur les individus dans les grandes enquête (l’âge, le revenu, la situation maritale, etc.) parviennent à expliquer au mieux 30% des écarts de bien-être déclaré. Il y a donc dans ces évaluations du bien-être subjectif une information sur les individus et leurs conditions de vie que les enquêtes ne parviennent pas à mesurer autrement.

De ce problème naissent deux volets, que je vais maintenant aborder successivement :

  1. La compréhension de la mesure, de la construction et des déterminants du bien-être subjectif,
  2. L’utilisation des mesures subjectives et objectives de bien-être et de qualité de vie pour informer l’action politique, en particulier au niveau local.

2 Mesure, aspects et déterminants du bien-être subjectif

Comment mesurer quelque chose d’aussi impalpable que le bien-être ? L’économie du bien-être a pour souci central de ne pas être prescriptive dans ce qu’est le bien-être, c’est-à-dire de ne pas en imposer de définition, mais de mesurer ce que les individus ressentent comme du bien- ou du mal-être. Pour ce faire, le champ a emprunté des outils à la psychologie sociale et quantitative. Ainsi, les meilleures pratiques rassemblées par l’OCDE3 font-elles largement appel au positionnement sur une échelle de 0 à 10 associée au psychologue Hadley Cantril4. Le bien-être subjectif mesuré ici est donc le bien-être ressenti, reposant sur les déclaration des personnes elles-mêmes. Nous verrons dans le chapitre 3 comment ces indicateurs sont croisés avec des métriques objectives dans l’analyse des situations locales.

2.1 Mesurer le bien-être

Si l’économie du bien-être n’est pas normative sur ce qu’est le bien-être, elle n’en distingue pas moins, en s’appuyant sur les travaux de la psychologie, plusieurs dimensions, ou affects, correspondant à des états émotionnels et des processus cognitifs variés. S’il n’existe pas de nomenclature figée de l’ensemble de ces aspects, un socle de quatre dimensions principales constitue l’ossature des travaux et comparaisons internationales, tandis que la richesse des autres dimensions peut être mobilisée en fonction des besoins.

2.1.1 Les quatre grandes dimensions

La plupart des études s’appuient ainsi sur quatre dimensions principales pour caractériser le bien-être subjectif5 :

  1. Dimension évaluative. Elle correspond à une question du type “Que pensez-vous de votre vie en général ?” ou “Par rapport à la pire et la meilleure vie possible pour vous, comment situez-vous votre vie actuelle ?”. Ce type de question demande un effort cognitif, un retour évaluatif sur ce qu’a été notre vie jusqu’ici, comparée à ce qu’elle aurait pu être, en bien ou en mal.
  2. Dimension hédonique. Elle correspond à une question du type “Vous être vous senti heureux hier ?” ou “Combien de fois avez-vous souri hier ?”. Elle repose sur la sensation d’affect positifs. Comme ces affects sont fortement dépendants du moment où on pose la question, celle-ci porte sur une période du passé récent, en général la veille, pour limiter cet effet de cadre. Alternativement, cette dimension est collectée dans le cadre de carnets d’activités, où les participants sont notifiés à plusieurs moment de la journée pour qu’ils renseignent leur activité en cours ainsi que leur état mental.
  3. Dimension eudémonique. Elle correspond une question du type “Avez-vous le sentiment que votre vie a un sens, une valeur ?”. Cette dimension est également réflexive, demandant d’évaluer l’adéquation de la vie menée aux valeurs de la personne.
  4. Dimension souffrance mentale. Elle correspond à des questions du type “Vous êtes-vous senti stressé ou déprimé hier ?”. Ces affects négatifs ne sont pas le miroir des affects positifs. Ils capturent en effet un sentiment d’auto-détermination (agency), de capacité à influer sur sons destin.

À titre d’exemple, je vous propose de déterminer (i) quelle serait la réponse aux quatre questions suivantes et (ii) quelle est à votre avis la réponse moyenne des Français.

  1. Dans l’ensemble, dans quelle mesure êtes-vous satisfait de la vie que vous menez actuellement ? Note de 0 (‘Pas du tout satisfait’) à 10 (‘complètement satisfait’)
  2. Au cours de la journée d’hier, vous-êtes vous senti heureux ? Note de 0 (‘Pas du tout heureux’) à 10 (‘Très heureux’)
  3. Avez-vous le sentiment que ce que vous faites dans votre vie a du sens, de la valeur ? Note de 0 (‘Pas du tout de sens’) à 10 (‘Beaucoup de sens’)
  4. Au cours de la journée d’hier, vous-êtes vous senti déprimé ? Note de 0 (‘Pas du tout déprimé’) à 10 (‘Très déprimé’)

Les figures ci-dessous (2.1, 2.2, 2.3 et 2.4) représentent la distribution des réponses à ces questions sur un échantillon représentatif de 2 000 Français, réalisé en juin 2018 dans le cadre de notre enquête trimestrielle.

Distribution des réponses à la question sur la satisfaction de vie, vague de Juin 2018

Figure 2.1: Distribution des réponses à la question sur la satisfaction de vie, vague de Juin 2018

Distribution des réponses à la question sur la le bonheur, vague de Juin 2018

Figure 2.2: Distribution des réponses à la question sur la le bonheur, vague de Juin 2018

Distribution des réponses à la question sur le sens de la vie, vague de Juin 2018

Figure 2.3: Distribution des réponses à la question sur le sens de la vie, vague de Juin 2018

Distribution des réponses à la question sur la dépression, vague de Juin 2018

Figure 2.4: Distribution des réponses à la question sur la dépression, vague de Juin 2018

Il est probable que vous avez été un peu surpris des résultats, avec des réponses moyennes plus élevées que ce que vous imaginiez. C’est un résultat assez général : dans tous les pays où la double question a été posée, la moyenne des réponses effectives à ces questions est nettement supérieure (dans le sens d’un plus grand niveau de bien-être) à ce que les enquêtés pensent être la réponse moyenne dans leur pays. En d’autres termes : les autres sont en moyenne plus heureux que nous l’imaginons6. Cet effet de surprise démontre un intérêt central de ces métriques : à l’échelle d’une collectivité, nous n’avons pas une bonne appréhension du niveau de bien-être général. La mesure permet ainsi de corriger des représentations erronées, et parfois auto-réalisatrices, pour se concentrer sur les populations les plus clairement en état de mal-être.

2.1.2 Ouvrir l’éventail

Si elles permettent une analyse déjà riche des déterminants du bien-être, ces quatre mesures sont insuffisantes pour une compréhension plus fine des conditions de vie ou pour une action locale ciblée. Afin d’aller plus loin, l’Observatoire du Bien-être du CEPREMAP a mis en place une enquête trimestrielle avec seize questions supplémentaires, qui nous permettent de restituer un tableau de bord de l’état du bien-être en France7.

Moyenne de 0 à 10
Grandes dimensions Mars Juin
Satisfaction de vie ↗* 6,5 6,6
Sens de la vie 7,0 7,1
Bonheur 6,8 6,9
Anxiété et dépression 2,0 2,1
Santé 6,8 6,9
Niveau de vie 6,4 6,5
Comparaison avec les autres Français 6,5 6,6
Perception de l’avenir
Vie future (personnelle) 5,9 6,0
Prochaine génération France 4,2 4,2
Prochaine génération Europe 4,5 4,3
Proches et environnement
Relations avec les proches 8,0 8,1
Gens sur qui compter 7,4 7,7
Sentiment de sécurité 7,1 7,2
Agression ressentie ↘* 1,5 1,7
Travail et temps de vie
Satisfaction au travail 7,0 7,0
Relations de travail 6,9 7,0
Équilibre des temps de vie 5,9 5,9
Temps libre 6,5 6,6
Les flèches indiquent les variations d’un trimestre à l’autre. * Variation significative uniquement pour les hommes

Notre enquête ajoute une question spécifique sur la période de l’histoire dans laquelle les répondants aimeraient vivre, s’ils avaient le choix.

Pour les besoins de notre discussion, ces questions sont autant d’illustrations de la manière dont une enquête peut être conçue en fonction d’objectifs spécifiques. Nous aurons dans la section 3.4 un aperçu des précautions méthodologiques qu’il convient de prendre lorsqu’on construit un questionnaire de ce type.

2.2 Construire l’évaluation de son bien-être

Dans la mesure où le fait même de répondre aux questions requiert un effort de réflexion, il importe, pour manier ces métriques, de connaître les mécanismes qui conditionnent la formation de l’évaluation du bien-être. Parmi ces mécanismes, trois dominent particulièrement.

  • L’effet d’accoutumance
  • L’effet de comparaison
  • L’effet d’aspiration

2.2.1 Effet d’accoutumance

« Tout passe ? » C’est ainsi que Claudia Senik8 présente ce phénomène : pour un grand nombre d’événement de vie, allant de l’augmentation de salaire au divorce, l’effet sur notre bien-être est limité dans le temps. Quelques mois à quelques années suffisent à en effacer l’effet, et à nous ramener à notre niveau de bien-être précédent l’événement. La figure 2.5 illustre ce phénomène à l’aide de données de panel (on suit les mêmes individus dans le temps)9.

Les principaux événements de vie ont un impact limité dans le temps

Figure 2.5: Les principaux événements de vie ont un impact limité dans le temps

Est-ce à dire qu’il est vain de vouloir agir pour le bien-être des gens ? Évidemment non : le contraste entre l’effet de perdre son emploi (Layoff) et le fait de ne pas en retrouver (être au chômage, Unemployement) montre que la lutte contre le chômage de longue durée a des conséquences très nettes sur le bien-être des personnes concernées. Sur ce modèle, la puissance de cet effet, différente selon les événements et déterminants, permet de prioriser l’action publique vers les domaines où elle sera le plus durable.

2.2.2 Effet de comparaison

Suis-je satisfait de ma vie ? La réponse à cette question ne se construit pas dans le vide. Pour y répondre, nous nous comparons aux autres, plus précisément à un groupe de référence. Il peut s’agir de nos proches et relations de travail, ou d’un groupe plus éloigné auquel nous voulons appartenir. De ce fait, au-delà de la satisfaction des besoins essentiels, notre bien-être va dépendre de notre positionnement par rapport à ce groupe, et de l’évolution de cette position10.

Cette tendance humaine est connue depuis longtemps, mais l’économie l’a documentée dans des cas où elle apparaît de manière pure. Ainsi, une équipe11 a tiré parti d’une loi qui obligeait à publier le salaire de tout les fonctionnaires de l’État. La publication avait été faite très discrètement, sur un site dont tout le monde ignorait l’existence. Les chercheurs ont révélé l’existence de ce site à des personnes choisies au hasard dans leur université. Ceux dont le revenu était supérieurs à ceux de leurs pairs ont déclaré une satisfaction vis-à-vis de leur emploi en hausse, et inversement.

Pour l’action publique, cet effet doit informer l’évaluation des dispositifs à deux titres :

  • Si une action publique modifie de groupe de référence d’une personne, par exemple en favorisant l’accès d’étudiants issus de milieux modestes à des formations sélectives, elle va modifier ses aspirations et son univers de comparaison. L’action peut donc avoir un effet négatif à court terme sur le bien-être de ces publics, qu’il convient d’accompagner sur ce plan.
  • L’effet de comparaison négatif va jouer fortement sur les segments de la population qui voient leur situation augmenter moins vite que celui de leur groupe de référence. Ce sentiment d’être laissé pour compte génère une forte frustration

2.2.3 Effet d’aspiration

L’évaluation que nous faisons de notre situation ne dépend pas seulement de notre situation passée et présente, mais aussi de notre avenir : nous acceptons d’autant mieux une passe difficile que nous la pensons temporaire, et nécessaire à l’obtention d’une situation meilleure. Ici encore, nous nous appuyons souvent sur ce qui arrive à notre groupe de référence pour nous faire un avis de notre avenir. Si les personnes qui me ressemblent trouvent un travail bien rémunéré, cela m’incite à penser que j’en trouverai bientôt un moi-même. Cet effet contrebalance en partie l’effet négatif que peut avoir la comparaison avec les autres, tant que la personne peut estimer que ce sera bientôt son tour.

En termes de politiques publiques, l’existence de cet effet fonde les actions visant à mettre en évidence auprès des groupes défavorisés les trajectoires de réussite de personnes issues de ces groupes, et d’insister sur les apports futurs de dispositifs ou de travaux qui causent à court terme des coûts ou des nuisances.

2.3 Déterminants individuels du bien-être subjectif

Ayant ces effets en tête, il est possible de dessiner à grands traits les principaux déterminants observables du bien-être subjectif. Je ne vais pas ici réaliser un panorama complet des déterminants, mais souligner quelques faits stylisés qui peuvent informer l’action publique locale.

L’Âge Il est largement documenté12 que le bien-être suit une courbe en U au cours de la vie. En moyenne, les années du début de la vie active sont les plus heureuses. On subit ensuite une longue descente, jusqu’au milieu de la cinquantaine, où le bien-être moyen atteint son nadir, pour remonter ensuite et connaître un nouveau pic dans la deuxième moitié de la soixantaine. Par voie de conséquence, la pyramide des âges dans un quartier va déterminer en partie les réponses, et l’analyse doit intégrer cet effet d’âge13.

La courbe en U de la satisfaction de vie en fonction de l'âge au Royaume-Uni. Source : Branchflower et Oswald, “The midlife low in human beings”, VOX, 16/09/2017

Figure 2.6: La courbe en U de la satisfaction de vie en fonction de l’âge au Royaume-Uni. Source : Branchflower et Oswald, “The midlife low in human beings”, VOX, 16/09/2017

Le Revenu Les revenus sont un facteur important de satisfaction de vie, particulièrement dans la société française14. Son influence sur d’autres métriques de bien-être, comme le bonheur, est également sensible, mais moins forte une fois les besoins essentiels couverts. Là encore, l’analyse des réponses aux enquêtes doivent intégrer cet effet pour comparer des populations de niveaux de vie hétérogènes. La figure 2.7, tirée d’une des premières notes de l’Observatoire, l’illustre sur un panels d’aspects de la satisfaction15.

Aspects de la satisfaction en fonction de la classe de revenus en France, SRCV 2013

Figure 2.7: Aspects de la satisfaction en fonction de la classe de revenus en France, SRCV 2013

Santé mentale La mauvaise santé mentale est souvent vue comme un élément secondaire du mal-être, comparée a une mauvaise santé physique, le chômage ou la pauvreté. Pourtant, (Clark et al. 2018) montrent qu’une mauvaise santé mentale constitue le principal déterminant du mal-être déclaré (évaluation très faible de la satisfaction de vie ou du bonheur), loin devant les trois autres déterminants cités. Cela en fait une cible prioritaire pour les politiques publiques, avant que la mauvaise santé mentale n’ait elle-même des conséquences sur la capacité à occuper un emploi et sur la santé physique. Les mêmes auteurs ont en outre montré que la santé mentale des mères constituait le principal facteur expliquant le bien-être et l’insertion sociale des enfants.

2.4 Le paradoxe français

Si on ajoute aux éléments de bien-être cités ci-dessus d’autres largement étudiés par la littérature, comme le statut marital, le fait d’avoir des enfants, le contraste rural / urbain, on peut estimer le degré auquel ces déterminants contribuent au bien-être dans un pays ou une communauté. Or, lorsqu’on réalise cet exercice, on découvre que les Français se déclarent en moyenne moins heureux que ce que leur richesse le suggérerait (figure 2.8).

Source : European Social Survey, vagues 1 et 7 pour le bonheur (moyenne pondérée par pays), et World Wealth and Income Database pour le PIB par habitant

Figure 2.8: Source : European Social Survey, vagues 1 et 7 pour le bonheur (moyenne pondérée par pays), et World Wealth and Income Database pour le PIB par habitant

Ce déficit de bonheur, pour reprendre l’expression de Claudia Senik16, se confirme si on neutralise l’effet des principaux déterminants du bien-être que nous avons vus plus haut, afin d’isoler un effet pays. Celui-ci caractérise ainsi l’effet d’ensemble des éléments de la culture et de l’environnement de chaque pays et non mesurés par les variables de contrôle. La figure 2.9 représente ces effets fixes : parmi cette sélection de pays européens, la France a le deuxième effet le plus faible sur le bonheur et sur la satisfaction de vie, devant seulement le Portugal. En d’autres termes, un Français accuse un déficit de trois quarts de points sur sa satisfaction de vie et son bonheur par rapport à un Allemand qui lui serait comparable sous tous les autres rapports (âge, situation, etc.).

Contribution du pays de résidence au bonheur et la satisfaction de vie. Source : Source : European Social Survey, vagues 1 et 7. Les barres représentent la taille de l'effet fixe pays dans une régression linéaire (MCO) contrôlant pour l'âge, le sexe, le statut marital, le statut d'emploi, le décile de revenu, le statut d'immigration et l'année de l'enquête. L'échantillon est de 24 000 individus, et le Portugal est pris comme référence.

Figure 2.9: Contribution du pays de résidence au bonheur et la satisfaction de vie. Source : Source : European Social Survey, vagues 1 et 7. Les barres représentent la taille de l’effet fixe pays dans une régression linéaire (MCO) contrôlant pour l’âge, le sexe, le statut marital, le statut d’emploi, le décile de revenu, le statut d’immigration et l’année de l’enquête. L’échantillon est de 24 000 individus, et le Portugal est pris comme référence.

En caricaturant beaucoup, on pourrait dire qu’un habitant de Kehl déclarera une satisfaction de vie de 0,75 points supérieure à celle d’un habitant de Schiltigheim qui lui serait parfaitement identique.

Les auteurs de (Algan et al. 2018) relient ce paradoxe français à une autre spécificité du pays, qui est le très faible taux de confiance interpersonnelle, constat largement détaillé dans (Algan, Cahuc, and Cohen 2016) et illustré par la figure 2.10. L’existence de ce phénomène doit ainsi informer les politique menées, et mettre en lumière les actions de nature à renforcer la confiance des Français dans les autres, les institutions et leur avenir individuel et collectif.

Figure 2.10: Moyenne des réponses à la question « Sur une échelle de 0 à 10, diriez-vous qu’on peut faire confiance à la plupart des gens », Eurostat, 2013

3 Le bien-être au service de l’action locale

Comment mettre ces éléments au service de l’action publique locale ? Ils ne peuvent évidemment servir seuls. En revanche, les métriques de bien-être subjectif sont particulièrement bien placées pour remplir deux fonctions complémentaires :

  • Identifier les populations les plus malheureuses, qui peuvent échapper aux outils de mesure assis sur des critères objectifs, comme on l’a vu dans le cas de la santé mentale.
  • Évaluer les équipements et actions qui ne se traduisent pas aisément ou directement par des conséquences monétaires ou mesurables, par exemple les espaces verts ou les pistes cyclables.

Dans cette partie, je vais donner quelques exemples de cette deuxième utilisation, avant de présenter comment les métriques de bien-être subjectif s’intègrent dans un cadre d’ensemble de mesure de la qualité de vie à l’échelle d’une collectivité locale.

Je m’empresse de relever ici que ces deux perspectives n’épuisent pas ce que le Conseil de développement a entamé avec la première édition de son questionnaire. À ces deux fonctions en effet, le questionnaire qui a été réalisé associe une troisième, qui est de demander directement aux habitants des informations sur leur utilisation des infrastructures et sur l’offre proposée. Je ne vais pas discuter ici de cet aspect, dans la mesure où il n’a pas directement trait à la mesure du bien-être subjectif. En revanche, je crois devoir insister sur la nécessité de bien séparer ces différents aspects dans le format de l’enquête. J’ai mentionné plus haut à quel point les réponses aux questions sur le bien-être pouvaient être sensibles aux effets de cadrage. Ici, la juxtaposition des questions peut avoir un effet sur les réponses, par exemple en soulignant le manque de certains équipements, ou en incitant les répondants à noircir le tableau afin de donner plus de poids à leurs suggestions d’équipement.

3.1 Le bien-être comme critère d’évaluation

L’évaluation de l’urbanisme et des aménagements locaux au travers de mesures de bien-être a connu un fort développement ces dernières années. Naturellement, la plus grande disponibilité de données géolocalisées et d’outils pour les données a constitué un facteur important, mais comme je le disais plus haut, la conscience qu’une analyse coûts / bénéfices purement financière ne parvient pas à capturer une bonne partie des effets de nombreux équipement urbains17. Cette production se déploie dans un champ et un éventail de publications transdisciplinaire. Ainsi, les études relevées par (Krekel, Kolbe, and Wüstemann 2016) ont-elles été publiées tant dans des revues de médecine ((Mitchell and Popham 2008), The Lancet), d’urbanisme ((Ambrey and Fleming 2014), Urban Studies) et d’économie ((Bertram and Rehdanz 2015), Ecological Economics).

Au fil de l’enrichissement des données, l’analyse des aménagements urbains, ici les espaces verts, est passée de la mesure d’une corrélation : « les personnes qui habitent à proximité d’espaces verts sont, toutes choses égales par ailleurs, plus satisfaits que ceux qui n’ont pas d’espaces verts à proximité » à l’évaluation d’une quasi-causalité : « les personnes qui déménagent vers un logement proche d’un espace vert bénéficient d’une hausse de leur satisfaction de vie supérieure à celle dont bénéficient des personnes similaires qui déménagent vers des quartiers similaires, mais dépourvus de parcs ». Cette progression fournit un niveau de preuve plus élevé des effets, ainsi que des éléments plus solides pour conduire une analyse d’opportunité, y compris lorsqu’une traduction en termes monétaires est indispensable18.

Pour les collectivités locales, cet intérêt scientifique a deux conséquences majeures :

  • Elles sont appelées à participer à l’élaboration de ce corpus de connaissances en incluant cette approche dans la conception de leurs interventions. La collecte de données de bien-être, en amont, pendant et en aval des aménagements et intervention, permet ainsi de passer au plus haut niveau de preuve et d’estimation des effet, qu’il s’agisse de répliquer des expérimentations qui ont fonctionné ailleurs (validité externe) que d’innover dans les interventions menées (innovation). Bien évidemment, cette dynamique repose sur l’implication de chercheurs très en amont dans la conception des aménagements en question, et une forte transparence sur les résultats, afin qu’ils puissent être remobilisés par d’autres collectivités et par les citoyens eux-mêmes.
  • La multiplication des évaluations et expérimentations publiées met les collectivités face à un large menu de choix d’actions, avec des niveaux variés de coût, d’impact constaté et de niveau de confiance dans l’impact qui peut être attendu dans le contexte territorial précis. La contrepartie de ce menu de choix est que les collectivités doivent s’entourer d’une équipe dotée des compétences nécessaires pour analyser cette littérature technique et identifier les projets les plus à même d’être efficacement transplantés dans le tissu local.

3.2 Le bien-être comme critère de détection

Les mesures de bien-être peuvent également être utilisées pour identifier les populations à risque et délimiter un champ d’intervention. C’est en suivant cette démarche que (Clark et al. 2018) ont mis en lumière l’impact de la mauvaise santé mentale sur le mal-être (section 2.3). Au Royaume-Uni, où les données de bien-être sont disponibles à un grand niveau de finesse, l’ONS (équivalent britannique de l’INSEE) a ainsi utilisé les quatre grandes dimensions du bien-être pour comparer entre elles les combined authorities19 ainsi que les communes les constituant. Cette analyse, décrite dans (Tabor 2018), relève les écarts significatifs à la moyenne nationale, et explore les facteurs objectifs, donc pouvant être ciblés par l’action publiques, qui distinguent les communes présentant de tels écarts. La figure 3.1 illustrer cette démarche sur le Grand Londres (précisément, la Greater London Authority).

Bien-être dans le Grand Londres et écarts à la moyenne nationale. Source : ONS

Figure 3.1: Bien-être dans le Grand Londres et écarts à la moyenne nationale. Source : ONS

Dans cette perspective, l’enjeu est d’identifier ces autres dimensions, c’est-à-dire de disposer d’un matériaux statistique assez riche pour déterminer de manière précise les aspects de leur vie quotidienne qui font le plus défaut aux habitants des communes ou quarties les plus en état de mal-être.

3.3 Un cadre théorique et pratique

Comment traduire concrètement tout cela ? Plus précisément, comment construire un dispositif de mesuré pérenne, fiable, qui conjugue ces dimensions de bien-être subjectif et des dimensions objectives, en visant des domaines accessible à l’action locale ? Le programme est vaste, mais nous disposons de guides.

Il ne s’agit pas ici de ré-écrire l’enquête qui a été menée. Au contraire, vous allez voir que nombre de points sont déjà communs. Mon propos ici est d’illustrer comment d’autres communautés ont abouti à un cadre partagé, avec l’idée de préserver les ressources locales en utilisant le plus possible des données déjà collectées dans des dispositifs nationaux. Le dispositif ainsi obtenu permet ainsi de concentrer les ressources sur les besoins locaux spécifiques, en partant d’un socle commun garant de la comparaison et de la coopération avec les autres collectivités locales.

3.3.1 Thriving Places Index

Je partirai du Thriving Places Index, élaboré par l’association Happy City. Le Thriving Places Index procède d’un objectif de cartographie et de classement, en d’autres termes un constat des situations : comment identifier les lieu qui prospèrent, au-delà de la seule croissance économique ? Cette initiative a donné un classement complet des collectivités locales britanniques selon trois axes :

  • Inégalités (pour adopter un ton plus positif, le TPI parle d’égalité) : 3 indicateurs
  • Conditions locales : 17 indicateurs répartis en cinq catégories
  • Développement durable : 3 indicateurs

Chaque indicateur est pris en écart à la moyenne nationale, standardisé et ramené à une échelle de 0 à 10. Ils construisent ensuite des moyennes par catégorie, puis par domaine. Cela donne un tableau de bord, dont la figure 3.2, sur la commune de Lambeth, qui appartient à l’agglomération londonienne.

Étude de cas du Thriving places index : commune de Lambeth

Figure 3.2: Étude de cas du Thriving places index : commune de Lambeth

Cette étude de cas montre l’intérêt d’une approche de type Tableau de bord. Ainsi, le score de développement durable est correct, mais il ne doit pas cacher un gros point noir dans le domaine du tri sélectif, et le type de diagnostic qui peut en être tiré.

On voit que les indicateurs considérés ici sont pour leur quasi-totalité des indicateurs objectifs, disponibles sur l’ensemble du territoire. Un des objectif était en effet d’avoir également une vision d’ensemble, telle que restituée dans la figure 3.3.

Cartographie des communes britanniques selon le Thriving places index

Figure 3.3: Cartographie des communes britanniques selon le Thriving places index

Pour utile qu’il soit, ce jeu d’indicateurs a deux inconvénients :

  • Il n’est pas fortement ancré dans le ressenti des habitants
  • Certaines mesures ne sont pas, ou peu, à la main des autorités locales, comme par exemple les inégalités de patrimoines.

Partant de ce constat, le What Works Wellbeing a élaboré un guide à destinations des autorités locales.

3.3.2 Understanding local needs for wellbeing data

Grandes catégories du dispositif

Figure 3.4: Grandes catégories du dispositif

Utilisant le Thriving Places Index comme cadre de départ, le WWWB a mené de large consultations avec des élus locaux et la société civile avec pour but de déterminer un jeu d’indicateurs qui serait plus directement utilisable en appui et en évaluation des politiques locales. L’accent y a été mis beaucoup plus nettement sur le bien-être subjectif, chaque indicateur relevant de cette catégorie ou devant être un déterminant documenté du bien-être subjectif. Le résultat est un dispositif (framework) en 7 domaines et 26 sous-domaines, comme illustré dans la figure 3.5.

Dispositif complet

Figure 3.5: Dispositif complet

Par rapport au Thriving Places Index, quelques différences-clefs donnent une lisibilité et une utilisé plus grande à ce dispositif :

  • Les domaines et indicateurs ont été sélectionnés sur la base de leur relation documentée avec le bien-être subjectif. Elles en sont des déterminants dont les recherches ont montré l’ampleur et la pertinence de la contribution. On voit ainsi disparaître des éléments comme les émissions de CO2, qui sont pertinentes dans une politique de développement durable, mais qui n’impactent pas directement le vécu quotidien des personnes. Elles sont remplacé par un indicateur de présence de polluants dans l’air (local environment) dont les effets sur la santé sont immédiatement sensibles20.
  • Chaque sous-domaine est mesuré par un unique indicateur. Combiné avec l’élément précédent, cela signifie que chaque indicateur peut être directement visé par l’action publique, et les résultats apparaître de manière transparente, sans effet de référence à un groupe de comparaison (moyenne nationale dans le cas du TPI).
  • Les indicateurs-cœur du bien-être ne sont plus des indices synthétiques, moyennes de moyennes d’indices, mais des mesures directes du bien-être subjectif. Là aussi, le tableau de bord y gagne en lisibilité et en facilité d’appropriation par les citoyens eux-mêmes.

Le dernier point n’exclut évidemment pas le besoin d’aller plus loin dans un domaine donné. Pour ce faire, le cadre propose une sélection plus large d’indicateurs détaillés (drill-down), qui permettent d’explorer plus en détail un domaine.

Je vous propose de revenir un peu plus longuement sur les indicateurs choisis. Comme vous allez pouvoir le voir, le recouvrement avec la structure de l’enquête réalisée à Strasbourg est très important, ce qui est révélateur de la qualité et de la pertinence du travail déjà effectué. Ce que doit permettre la comparaison avec le cadre du What Works Wellbeing est de systématiser la démarche, de manière à aboutir à un cadre plus fortement ancré dans la recherche sur les déterminants du bien-être subjectif et susceptible d’être partagé avec les autres collectivités. Je ne vais cependant pas dérouler ici l’ensemble des indicateurs : les personnes intéressées pourront consulter directement le rapport du What Works Wellbeing pour plus de détails. Je me bornerai à souligner quelques éléments saillants qui font, à mon sens, l’intérêt et l’originalité ce cette démarche

3.3.2.1 La centralité du Bien-être

Le bien-être des habitant est, dans ce dispositif, l’objectif final, le jeu d’indicateurs vers lequel convergent les autres, qui en sont les déterminants. Aux quatre dimensions fondamentales du bien-être (section 2.1.1), le questionnaire ajoute celle du sentiment d’autonomie. À un niveau individuel, ce sentiment combine la sensation des capacités d’expression de soi, dans l’environnement personnel, professionnel et public, et la sensation des capacités d’action sur ce même environnement. Il s’inscrit donc pleinement dans une perspective de gestion publique visant à favoriser la participation citoyenne.

3.3.2.2 La combinaison d’indicateurs : l’exemple du domaine Économie

Le triptyque proposé illustre bien le croisement des approches qui sous-tend ce cadre d’analyse : une mesure objective générale (le taux de chômage), une mesure subjective (la satisfaction au travail), une mesure orientée vers les plus désavantagés (un taux de pauvreté).

3.3.2.3 Les inégalités

La mesure des inégalités est une question épineuse en soi. Tout comme le bien-être, les inégalités sont multidimensionnelles : le revenu, bien sûr, mais aussi le patrimoine, la culture, les opportunités. De plus, on ne connaît pas a priori l’effet des inégalités dans un contexte donné. L’effet de comparaison entraîne un effet positif, mais l’effet d’aspiration entraîne un effet négatif dès lors qu’il semble possible d’accéder à un niveau supérieur de richesse. L’effet net dépend fortement du contexte local, et de la conjoncture : il n’a donc pas de raison d’être stable dans le temps.

La solution du What Works Wellbeing a été de revenir à la centralité des métriques de bien-être : si le bien-être est central, alors ce qui doit nous intéresser sont les inégalités de bien-être. Si l’effet de comparaison l’emporte, les inégalités vont déprimer le bien-être des personnes en bas de l’échelle et augmenter celui des personnes en haut, générant de forts taux d’inégalités dans le bien-être. Inversement, si l’effet d’aspiration domine, il augmentera le bien-être des personnes en bas de l’échelle, mais estimant avoir de bonnes chances d’améliorer leur situation. Ainsi, l’information recherchée est disponible directement dans les mesures de bien-être elles-mêmes. Avec ce caveat : bien mesurer les inégalités requiert de disposer de plus de données que pour établir une simple moyenne, puisqu’il faut des informations fiables sur les très heureux et les très malheureux.

3.3.2.4 La question de la confiance

Aux questions du What Works Wellebing, je recommanderais d’ajouter une question portant sur la confiance interpersonnelle. Un élément du paradoxe français mentionné plus haut (section (le-paradoxe-francais)) est le faible niveau de confiance interpersonnelle et dans les institutions (y compris locales). Je l’illustre à nouveau par la figure 3.621.

Part des personnes qui répondent « Il est possible de faire confiance aux   autres » à la question : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ou que l’on est jamais assez méfiant ? », World Values Survey

Figure 3.6: Part des personnes qui répondent « Il est possible de faire confiance aux autres » à la question : « En règle générale, pensez-vous qu’il est possible de faire confiance aux autres ou que l’on est jamais assez méfiant ? », World Values Survey

Cette défiance est particulièrement dommageable à la vie commune et doit, à mon sens, faire l’objet d’une attention particulière. Les initiatives à même de renforcer la confiance interpersonnelles, partant d’un niveau national bas, sont susceptible de présenter des retours sur investissement sociaux particulièrement élevés, et l’échelle locale me paraît particulièrement appropriée pour expérimenter dans cette direction.

3.4 Disponibilité et collecte des données

Les dispositifs présentés plus haut reposent sur deux types de données :

  • Les données exhaustives : recensement, SIRENE, DADS - DSN, résultats électoraux, données fiscales
  • Les données d’enquêtes à échantillon représentatif

Les données exhaustives sont indispensables pour mesurer les grandeurs aux extrémités des distributions, par exemple les très haut et très bas revenus. Les premiers sont trop rares pour être bien capturés par les enquêtes à échantillon représentatif, les seconds sont souvent difficiles à joindre. Par leur taille, elles permettent également un maillage extrêmement fin et de haute qualité, comme les données de revenu issues des déclarations fiscales, ou la participation politique, avec des taux à l’échelle du bureau de vote.

La dernière décennie a vu la montée en puissance des enquêtes participatives, dont nous avons ici un exemple. Portées par les formulaires web, accessibles sur ordinateur et sur mobile, ces enquêtes ne sont par construction pas représentatives, puisqu’elles ne reflètent que la population ayant pris le temps de s’exprimer. Elles sont nettement moins coûteuses que les enquêtes classiques, et extrêmement flexibles dans leur déploiement. Dans l’univers de la politique urbaine, je leurs vois plusieurs intérêts particuliers :

  • Une dimension ascendante Ce format semble particulièrement adapté pour faire remonter les souhaits des populations interrogées, quand il ne s’agit pas de mesurer quelque chose mais d’obtenir une information non précédemment disponible, en particulier les questions ouvertes.
  • Une flexibilité de périmètre Pour de nombreux équipements métropolitains, il est difficile de déterminer a priori le périmètre géographique des utilisateurs. Ce type d’enquête permet de déterminer un périmètre approximatif sans avoir à le borner initialement, ce qu’exigerait une enquête classique.
  • Une haute fréquence Souvent, ces enquêtes sont menées comme des enquêtes classiques, par vagues. Leur mode d’administration autorise toutefois d’envisager un recueil en continu et à haute fréquence. On peut ainsi imaginer poser des questions qui présentent une spécificité temporelle, par exemple au moment des vacances pour les centres d’accueil des enfants sur cette période.

À mon sens, le projet de l’Eurométropole doit mobiliser ces trois type de données. Les deux premiers sont seuls propres à la mesure et l’évaluation, et le troisième devient incontournable pour prendre acte de l’engagement et la participation citoyenne dans des démarches de co-construction.

3.4.1 Poser les bonnes questions

Si certaines données ont par nature un caractère ponctuel (satisfaction vis-à-vis d’un événement unique, par exemple), la plupart des métriques ne peuvent prendre sens que si elles sont comparables à ce qui est collecté ailleurs et comparables dans le temps. La première de ces conditions implique qu’il faut s’attacher à reprendre les formulations de référence des questions. La satisfaction de vie à Strasbourg doit ainsi pouvoir être mise en regard de celle ressentie dans d’autres métropoles françaises, mais aussi dans le reste du Grand Est, ou dans d’autres métropoles allemandes.

Pour la deuxième, je voudrais en donner une illustration frappante. En 1970, l’économiste Richard Easterlin cherche à connaître ce que vingt-cinq ans de croissance économique ont produit sur la satisfaction de vie des Japonais. Il obtient la figure 3.7 (montrée ici avec des données actualisées22).

Ce graphique montre la stagnation du score moyen de bonheur aux États-Unis entre 1960 et 2087, alors que le PIB / habitant a quadruplé sur la période. Graphique tiré de Frank, Robert H.  “The Easterlin paradox revisited.” Emotion, 12, 6 (2012): 1188-91.

Figure 3.7: Ce graphique montre la stagnation du score moyen de bonheur aux États-Unis entre 1960 et 2087, alors que le PIB / habitant a quadruplé sur la période. Graphique tiré de Frank, Robert H. “The Easterlin paradox revisited.” Emotion, 12, 6 (2012): 1188-91.

On voit qu’en dépit d’une croissance économique spectaculaire (le PIB/habitant a quadruplé sur la période), la satisfaction de vie moyenne n’a essentiellement pas bougé. Cette figure va être essentielle dans la formulation de ce qu’on a appelé le paradoxe d’Easterlin23 : dans certains pays riches (Easterlin avait des données sur les États-Unis et le Japon uniquement), il semble que la croissance économique n’améliore pas l’évaluation que les individus se font de leur bien-être. En 2008 toutefois, deux chercheurs24, intrigués par ce résultat somme toute contre-intuitif, repartent des données de départ. Ils se rendent compte que le libellé exact de la question sur la satisfaction de vie a changé plusieurs fois au cours de la période étudiée, entraînant des sauts dans l’appréciation moyenne, ainsi que l’illustre la figure 3.8.

Le changement de question semble induire à chaque fois une remise à zéro, qui explique l'absence de tendance, alors que celle-ci est bien présente tant que les questions restent identiques. Graphique tiré de Stevenson B, Wolfers J (2008), “Economic Growth and Subjective Well-Being: Reassessing the Easterlin Paradox”. <em>Brookings Paper Econ Activ</em> 2008 (Spring):1–87.

Figure 3.8: Le changement de question semble induire à chaque fois une remise à zéro, qui explique l’absence de tendance, alors que celle-ci est bien présente tant que les questions restent identiques. Graphique tiré de Stevenson B, Wolfers J (2008), “Economic Growth and Subjective Well-Being: Reassessing the Easterlin Paradox”. Brookings Paper Econ Activ 2008 (Spring):1–87.

À l’intérieur de chaque période où le libellé de la question est resté stable, la satisfaction de vie moyenne suit assez fidèlement la dynamique de croissance ou de crise économique. Seul l’effet de remise à zéro induit par les changements de libellé ont conduit à l’impression d’absence d’effet qui a trompé Easterlin.

On mesure ainsi l’importance de respecter le libellé des questions existantes, et de ne le modifier qu’avec la plus extrême prudence. Pour l’enquête de l’Eurométropole, plusieurs questions diffèrent de celles que nos posons dans l’enquête qui sert de support à notre Tableau de Bord du bien-être en France, empêchant de comparer les résultats.

3.4.2 Identifier les données existantes

Le dispositif statistique français offre un grand nombre de métriques objectives, à des niveaux très fin. Ce type de métriques a par exemple guidé plusieurs études de l’INSEE s’attachant à peindre et comprendre les contrastes entre territoires à un niveau fin25. Des sites dynamiques comme France Découverte montre comment on peut restituer ces données aux citoyens, afin qu’ils en explorent les résultats (exemple figure 3.9).

Niveau d'adéquation, au regard des catégories sociales, des emplois du territoire et de la population active occupée, carte générée par France Découverte

Figure 3.9: Niveau d’adéquation, au regard des catégories sociales, des emplois du territoire et de la population active occupée, carte générée par France Découverte

La publication des plus en plus large des données, officialisée par la Loi pour une République numérique26, permet de réutiliser ces données, épargnant un coût de re-collecte. Dans certains cas, les données existent à un niveau extrêmement fin (l’IRIS^[Ilots Regroupés pour l’Information Statistique, utilisé dans (Caenen et al. 2017)), permettant de distinguer les quartiers au sein des agglomérations.

Il faut être conscients que l’identification et la mobilisation de ces données demandent un temps et des ressources appréciables, en collaboration étroite avec les services statistiques nationaux et locaux. L’intégration de Kehl dans ce dispositif constituera un défi supplémentaire, mais aussi une opportunité de mettre en évidence les ponts entre ses systèmes statistiques français et allemands.

4 Conclusion

En guise de conclusion rapide, j’ai envie de rappeler que depuis trente ans, de grandes enquêtes nous ont permis de progresser considérablement dans la compréhension du bien-être subjectif, de ses déterminants et de sa mesure. Ces mesures ont justement atteint un niveau de maturité qui autorise leur intégration dans la conception, la conduite et l’évaluation des politiques publiques. Elles peuvent ainsi aider les collectivités territoriales, qui sont en pointe dans ce domaine, à identifier les territoires prioritaires, à analyser les causes essentielles de ce mal-être, et informer les résultats de l’action.

À ce titre, il convient je pense de garder à l’esprit les trois points suivants :

  1. La mesure du bien-être est flexible dans son usage, mais doit suivre un cadre méthodologique strict pour que l’information collectée soit comparable et utilisable dans le temps et dans l’espace.
  2. La construction du bien-être subjectif conjugue des éléments matériels et des éléments symboliques. Une politique centrée sur le bien-être doit porter simultanément ces deux volets.
  3. Sur les déterminants essentiels, les écarts de bien-être sont les plus sensibles au bas de la distribution : c’est probablement en direction des plus malheureux que l’action publique sera la plus efficace si l’objectif est d’augmenter le bien-être total.

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  1. (Conseil de développement de l’Eurométropole de Strasbourg 2019)

  2. formule de Joseph Priestley, reprise par Jeremy Bentham.

  3. (OCDE 2013)

  4. (Cantril 1966)

  5. La nomenclature utilisée ci-dessous correspond à la nomenclature de référence dans le domaine, qui comporte un certain nombre de calques de l’anglais. Ainsi, les termes employés pour désigner chaque dimension ont-il un sens qui peut différer de leur sens courant en français.

  6. Des études complémentaires ont montré que ce biais se réduisait avec l’écart entre le répondant et le groupe dont il doit deviner les réponses. Nous sommes ainsi beaucoup plus proches de la vérité quand nous devons évaluer le bien-être de notre famille ou de nos amis que celui de la population en général.

  7. Ce tableau est extrait de la note d’analyse conjoncturelle de l’Observatoire, (Perona 2018)

  8. (Senik 2014)

  9. Le graphique 2.5 est tiré de (Clark et al. 2008).

  10. Des études menées dans les pays en développement montrent que dans certains cas, l’ffet de comparaison peut agir même sur des populations très pauvres. On a ainsi constaté que des ménages indiens pauvres préféraient économiser sur la nourriture, au détriment de leur santé, pour économiser en vue du mariage de leurs enfants.

  11. (Card et al. 2012)

  12. (Cheng, Powdthavee, and Oswald 2017) pour la version académique, ainsi que (Clark 2007).

  13. Pour plus de détails, voir (Blanchflower and Oswald 2017)

  14. (Algan et al. 2018)

  15. (Leker 2016)

  16. (Senik 2014)

  17. Dans certains cas, on peut utiliser les écarts de prix de l’immobilier pour ces évaluations, ce que font par exemple (Fack and Grenet 2010). Ces évaluations sont toutefois dépendantes d’évolutions exogènes, ici un redécoupage des secteurs scolaires, et reposent sur des transactions peu fréquentes.

  18. Si la pratique de fournir des équivalents monétaires à des gains en bien-être est tentante, les praticiens sont souvent réservés sur le bien-fondé de cette approche, qui, a minima peine à intégrer convenablement la complexité de la relation entre revenus et bien-être. Voir par exemple (Corry 2018).

  19. Grossièrement parlant, on pourrait parler d’intercommunalités aux compétences étendues.

  20. Cette remarque ne signifie pas que la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre au sens large n’est pas un objectif nécessaire de la politique locale. C’est un objectif important, mais qui relève d’une démarche de développement durable de long terme qui, par construction n’aura un d’effet sensible sur le bien-être des habitants qu’à long terme, fortement sujet donc au phénomène d’accoutumance décrit dans la section 2.2.

  21. Là où la 2.10 demandait de se positionner sur une échelle de 0 à 10, la figure 3.6 repose sur une question dichotomique, où 0 et 1 sont les seuls réponses. Cela a pour effet de souligner l’écart de défiance des Français. Par rapport à l’Italie, l’écart de 0,7 points dans la moyenne de 0 à 10 (5 et 5,7 respectivement) devient un écart de dix points (19 % et 29 % respectivement) dans la moyenne des réponses 0 ou 1.

  22. Graphique tiré de (Frank 2012).

  23. Formulé pour la première fois dans (Easterlin 1974).

  24. (Stevenson and Wolfers 2008).

  25. Voir par exemple (Caenen et al. 2017; Reynard and Vialette 2014).

  26. (Loi N°2016-1321 Du 7 Octobre 2016 Pour Une République Numérique 2016).