De nombreux indicateurs psychiques et physiques montrent que la jeunesse fait face à une crise de la santé mentale. Ces résultats proviennent généralement d’enquêtes se concentrant sur des tranches d’âge relativement élevées de la jeunesse (à partir de 15 ou 18 ans et allant jusqu’à 25 ans) et suivent rarement les répondants dans le temps.
Grâce à l’enquête britannique Understanding Society, nous analysons le bien-être subjectif des jeunes âgés de 10 à 15 ans au cours des 10 dernières années. Les pré-adolescents d’aujourd’hui se disent moins heureux que ceux de 1994 ou même de 2016, avec une perte moyenne de 0, 5 points de satisfaction dans la vie (sur une échelle allant de 1 à 7). Cette chute du bien-être est particulièrement marquée chez les jeunes filles et les jeunes des ménages les plus modestes.
Cependant, certains déterminants, comme la pratique d’une activité sportive extra-scolaire, une utilisation limitée du smartphone ou encore le temps passé avec les parents, ont tendance à améliorer la satisfaction de vie des plus jeunes.
Corin Blanc, ADEME, CEPREMAP, EconomiX-CNRS
Eugénie de Laubier, Cepremap
Mathieu Perona, Cepremap
Le mal-être des enfants et des adolescents connaît une progression préoccupante depuis plusieurs années. Les données françaises les plus récentes mettent en évidence une augmentation marquée des détresses psychiques, particulièrement chez les jeunes filles1. En 2025, 1 jeune de 15 à 29 ans sur 4 est sujet à des troubles dépressifs2. Ces résultats se retrouvent aussi chez les plus jeunes3 :
- 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque de dépression ;
- un quart des lycéens déclare ressentir un sentiment de solitude persistant ;
- un quart des lycéens rapporte avoir eu des pensées suicidaires.
Ainsi, une part significative de la jeunesse souffre de troubles psychiques potentiellement dangereux pour leur développement personnel, scolaire et social.
En France, les données disponibles sur la santé mentale des jeunes restent limitées et peu comparables dans le temps. Il existe encore peu d’enquêtes longitudinales permettant de suivre l’évolution du bien-être psychologique et des conditions de vie des enfants et des adolescents sur une longue période4.
Pour pallier cette limite, nous avons mobilisé une base de données issue du Royaume-Uni5. Nous nous intéresserons principalement à la période 2016 – 2023). Ce dispositif de suivi permet d’analyser, année après année, différents aspects du quotidien des enfants âgés de 10 à 15 ans et leur satisfaction dans la vie (notée de 1 à 7), leur participation à des activités extrascolaires, mais aussi leur temps d’écran et d’autres éléments susceptibles d’influencer leur bien-être.
La Figure 1 illustre l’évolution du niveau de bien-être subjectif des jeunes Britanniques âgés de 10 à 15 ans au cours des trente dernières années. Entre 2008 et 2023, la moyenne de satisfaction dans la vie des jeunes a diminué de 0,5 points, passant de 6 à 5,5 environ.

La Figure 2 représente la satisfaction dans la vie selon l’année de naissance des répondants, c’est-à -dire l’évolution de la satisfaction de vie moyenne de chaque cohorte.

Toutes les cohortes voient leur niveau de bien-être subjectif décroître au cours de leur adolescence. Mais cette chute est bien plus prononcée pour les nouvelles générations – Gen Z et Gen Alpha. Par exemple, les enfants nés en 2008 ont en moyenne une satisfaction dans la vie proche de 6 sur 7 avant leurs 10 ans et terminent leur adolescence avec une évaluation moyenne de 5,25 sur 7. La génération Alpha (les jeunes nés après 2010) semble différente des générations précédentes sur un second plan : les jeunes Britanniques qui ont 10 ans d’aujourd’hui semblent moins heureux que ceux qui avaient 10 ans à la fin du 20ème siècle.
La satisfaction de vie baisse davantage chez les filles
En 2016, la satisfaction de vie des filles s’élevait à 5, 75 sur 7, contre 5, 80 pour les garçons — un niveau comparable entre les deux sexes. Mais au fil des années, la situation s’est dégradée, en particulier pour les adolescentes. En 2023, leur satisfaction de vie n’est plus que de 5, 25, tandis que celle des garçons s’établit à 5, 50 (Figure 3).

Des activités extrascolaires bénéfiques
Il est largement reconnu que l’activité physique exerce des effets bénéfiques multiples, tant sur la motricité que sur la santé physique et métabolique, mais également sur la santé mentale, et ce aussi bien chez les jeunes que chez les adultes6. Au-delà de la seule activité physique, la participation à une activité extrascolaire – qu’il s’agisse de sport, de danse, de musique ou d’arts plastiques – est également associée à un niveau de satisfaction de vie plus élevé chez les enfants et adolescents7. Ainsi, selon nos données, le recul de satisfaction entre 2016 et 2023 est deux fois plus important chez ceux qui n’ont pas d’activités extrascolaires que chez ceux qui en pratiquent (Figure 4).

Bienfaits d’une pratique sportive régulière
En analysant plus particulièrement la fréquence de la pratique sportive, on constate un effet croissant sur la satisfaction de vie : plus l’enfant pratique régulièrement du sport, plus son bien-être déclaré est élevé. Ainsi, les enfants qui pratiquent du sport très souvent affichent une satisfaction moyenne de 5,8/7, tandis que ceux qui n’en pratiquent jamais ne dépassent pas 4,4 (Figure 5).

Soulignons qu’en France, le Pass Sport, mis en place en 2021 permet aux 14–17 ans bénéficiaires de l’ARS (Allocation de Rentrée Scolaire), aux moins de 28 ans bénéficiaires d’une bourse, ainsi qu’aux personnes en situation de handicap âgées de 6 à 30 ans, d’obtenir une réduction immédiate de 70 euros sur le coût de l’inscription dans un club, une association sportive ou une salle de sport.
Activité des enfants ou investissement des parents ?
Néanmoins, la participation aux activités extrascolaires pourrait refléter l’investissement parental dans l’éducation. En effet, elle suppose de nombreuses démarches : choisir l’activité, inscrire l’enfant, l’accompagner éventuellement aux séances ou lors des compétitions, acheter le matériel, etc. Le niveau de bien-être associé à la participation à ces activités pourrait donc être en partie attribuable à la présence et à l’implication des parents.
Pour mesurer cet investissement parental, nous disposons d’une mesure indirecte : la fréquence des repas partagés avec les parents. En tant que tels, les repas partagés en famille sont associés à un surcroît de satisfaction de vie encore plus élevé que la participation à des activités extrascolaires (Figure 6 et Figure 7).
Ces résultats rejoignent ceux du Happiness Report (2025) qui met en évidence l’impact du fait de partager ses repas avec d’autres sur la satisfaction de vie et les émotions positives8. Cependant, comme l’illustre la Figure 6, la fréquence des repas partagés avec les parents n’altère pas l’effet positif de la participation à une activité extrascolaire sur le bien-être : celle-ci est associée à un surcroît moyen de 0,12 point du score de satisfaction de vie, toutes choses égales par ailleurs.

Variable dépendante: la satisfaction dans la vie (notée de 1 à 7). Lecture: être un garçon est lié à un niveau de satisfaction de vie plus élevé, avec un effet moyen de 0,23 point par rapport aux filles.

La question des écrans
Le rôle des pratiques numériques (les écrans ) dans le bien-être des enfants est une question qui fait l’objet de vifs débats. Si certains travaux imputent aux écrans une grande part de responsabilité dans les difficultés rencontrées aujourd’hui par les enfants9, d’autres études ne détectent qu’un effet faible et très variable des écrans sur la santé physique et mentale des enfants, à l’exception des groupes déjà vulnérables10. Ainsi, l’OCDE préconise un usage raisonné des écrans, avec une attention à porter aux contenus auxquels les enfants accèdent, et à une vigilance en cas d’usage important11.
Un moindre bien-être en cas d’utilisation prolongée
Les données britanniques montrent que depuis 2017, plus de neuf enfants sur dix de l’échantillon sont équipés de smartphones (Figure 8).

Du fait de cette homogénéité, la possession de cet équipement n’est pas associée à une différence observable de satisfaction jusqu’en 2021. Un écart apparaît toutefois en 2022 et 2023, mais il n’est pas statistiquement significatif (la vague de 2023 est moins nombreuse, ce qui limite la précision des estimations).
Le temps passé sur le téléphone semble cependant jouer un rôle (Figure 9). En dessous de trois heures d’utilisation par jour, les écarts de satisfaction sont faibles, mais une différence apparaît chez la minorité d’enfants qui en font une utilisation importante (3 à 6 heures par jour) ou très importante (7 heures ou plus).

La Figure 6 illustre l’association de ces différents éléments avec la satisfaction de vie (en raisonnant toutes choses égales par ailleurs , et en neutralisant en particulier le revenu du ménage, l’année d’enquête et le type de zone habitée – rurale ou urbaine). Cette approche montre qu’un usage du smartphone à raison de plus de 3 heures par jour est bien associé à un niveau de satisfaction plus faible, avec environ 0,25 points de moins, et 0,5 points pour les enfants utilisant leur appareil plus de 7 heures par jour. Il s’agit d’un ordre de grandeur comparable à la pénalité de satisfaction dont souffrent les enfants qui ne prennent jamais leur repas avec leur famille. En comparaison, la pratique d’une activité extrascolaire est associée à un gain de satisfaction de 0,12 points.
Conclusion
Ces données nouvelles révèlent une baisse préoccupante de la satisfaction de vie chez les enfants et adolescents, particulièrement chez les filles. Les activités extrascolaires et le sport se révèlent protecteurs, limitant la baisse de satisfaction de vie. Cette amélioration ne s’explique pas entièrement par l’investissement parental associé à l’inscription à de telles activités, même si le partage régulier des repas en famille se distingue comme un facteur clef de satisfaction pour les enfants. Enfin, l’usage intensif des écrans est associé à une moindre satisfaction de vie des pré-adolescents.
- DREES, Hospitalisations pour geste auto-infligé : une progression inédite chez les adolescentes et les jeunes femmes en 2021 et 2022. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, 2024. https://www.drees.solidarites-sante.gouv.fr/240516_ERHospiGestesAutoInfliges
- . Delage, M. Tellier-Poulain et L. Vincent. Santé mentale des jeunes de l’Hexagone aux Outre-Mer, cartographie des inégalités. Mutualité Française, Institut Montaigne, Institut Terram, 2025. https://www.institutmontaigne.org/publications/sante-mentale-des-jeunes-de-lhexagone-aux-outre-mer
- Santé Publique France. La santé mentale et le bien-être des collégiens et lycéens en France hexagonale – Résultats de l’enquête EnCLASS 2022. Santé Publique France, 2022. url : https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/sante-mentale/depression-et-anxiete/documents/enquetes-etudes/la-sante-mentale-et-le-bien-etre-des-collegiens-et-lyceens-en-france-hexagonale-resultats-de-l-enquete-enclass-2022
- L’enquĂŞte Elfe constitue une avancĂ©e importante en la matière : elle suit près de 18 000 enfants nĂ©s en 2011 pendant vingt ans, en s’intĂ©ressant Ă leur bien-ĂŞtre, leur dĂ©veloppement, l’impact des Ă©crans, leurs activitĂ©s, ainsi que leur environnement de vie. NĂ©anmoins, cette enquĂŞte ne comporte pas la question de satisfaction dans la vie que nous analysons ici. (Ined – Institut National d’études dĂ©mographiques. Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance (Elfe). https: / /www.elfe-france.fr/).
- L’enquĂŞte Understanding Society (UKHLS) prolonge depuis 2009 l’enquĂŞte British Household Panel Survey (BHPS 1991 – 2009 Institute for Social University of Essex et Economic Research. « Understanding Society : Waves 1-14, 2009-2023 and Harmonised BHPS : Waves 1-18, 1991-2009. [data collection] ». In : UK Data Service. SN : 6614 (https://datacatalogue.ukdataservice.ac.uk/studies/study/6614#doi)).
- . Duché. « Activité physique et maladie chronique des enfants ». In : Elsevier Masson (2024). doi : 10.1016/S1637-5017(24)43819-2
- f Active and Passive Leisure to Children’s Well-being ». In : Journal of Health Psychology 14 (avr. 2009), p. 378-386. issn : 1359-1053. doi : https://doi.org/10.1177/1359105308101676
- ohn F. Helliwell et al., éd. World Happiness Report 2025. World Happiness Report. Oxford, UK : Wellbeing Research Centre, University of Oxford, 2025. isbn : 978-1-7348080-8-7. url : https://www.worldhappiness.report/ed/2025/
- Jonathan Haidt et Jenny Bussek. Génération anxieuse : comment les réseaux sociaux menacent la santé mentale des jeunes. français. Paris, France : Les Arènes, 2025. isbn : 979-10-375-1309-0, par exemple.
- Ces Ă©tudes soulignent que la prise en compte des caractĂ©ristiques socio-dĂ©mographiques des familles fait disparaĂ®tre une très large part des corrĂ©lations entre usage des Ă©crans et bien-ĂŞtre des enfants, indiquant un ensemble de causes communes Ă un usage important des Ă©crans et aux problèmes des enfants: prĂ©caritĂ© matĂ©rielle des familles, horaires atypiques des parents, habitat dĂ©gradĂ©, quartiers peu sĂ»rs ou mal Ă©quipĂ©s limitant les possibilitĂ©s d’activitĂ©s Ă l’extĂ©rieur, etc. Voir alitĂ©s. Retz, 2023. isbn : 978-2-7256-4381-6. doi : 10.3917/retz.cordi.2023.01 pour une synthèse. En France, les premiers rĂ©sultats de la cohorte Elfe suggèrent que les Ă©crans n’ont pas d’effet significatif sur le dĂ©veloppement cognitif, comme les capacitĂ©s Ă dessiner (L. Poncet, M. SaĂŻd, S. Yang et al. « Associations between screen viewing at 2 and 3.5 years and drawing ability at 3.5 years among children from the French nationwide Elfe birth cohort ». In : Scientific Reports 14 (2024), p. 348. doi : 10.1038/s41598-023-50767-0).
- OECD . How’s Life for Children in the Digital Age ? Paris : OECD Pu-
blishing, 2025. url : https://doi.org/10.1787/0854b900-en.