Note de l’Observatoire du Bien être n°2017-03 : Les Français inquiets pour l’avenir de leur pays

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Bonheur, satisfaction dans la vie: où en sont les Français? Nous livrons ici les premiers enseignements d’une nouvelle enquête menée par l’Observatoire du bien-être du CEPREMAP et l’INSEE. Nous mobilisons également plusieurs grandes enquêtes françaises (SRCV, CREDOC) et internationales (SILC, ESS, Gallup). On découvre une France pessimiste, où l’économie est source d’inquiétude, occupe une place particulièrement importante dans la genèse du bien-être et différencie de plus en plus les groupes de la société et les régions françaises.

Auteurs :

Yann Algan, doyen de l’École d’Affaires Publiques (EAP) et Professeur d’économie à Sciences Po.

Elizabeth Beasley, chercheuse à l’Observatoire du Bien-être du Cepremap

Claudia Senik, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne et à l’École d’économie de Paris.

Les auteurs remercient Claire Vandendriessche, Maria Camilla Porras et Marie-Luce Bia Zafinikamia pour leur assistance dans la rédaction de ce document.

Un rapport problématique à l’avenir

Les trois premières vagues de l’enquête CEPREMAP-INSEE révèlent un rapport problématique des Français à l’avenir, qu’ils voient bien plus sombre que le présent (Figure 1, haut). La grande majorité (plus des deux tiers) estime que la vie de la prochaine génération en France et dans l’Union Européenne sera moins bonne que la nôtre. Les Français sont plus pessimistes pour la France que pour l’Europe en général. On note également la différence entre la manière dont les Français perçoivent leur avenir personnel et celui du pays, ou des autres. Un tiers des Français est très satisfait de ses perspectives futures personnelles contre moins de 10% concernant les perspectives de la prochaine génération en France. Il ne s’agit donc pas simplement d’un pessimisme général, mais réellement d’une inquiétude quant à l’avenir de la France, bien au-delà de la situation personnelle de chacun.

C’est dans le domaine économique que les Français sont le plus pessimistes. Niveau de vie futur, achats, équipements, revenus : les perspectives sont peu engageantes (Figure 1, bas). Les choses sont bien différentes en ce qui concerne d’autres aspects de leur vie, dont les Français sont satisfaits, notamment les relations avec leurs proches.

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Source: CEPREMAP/INSEE Enquête trimestrielle. Les données présentées ci-dessus proviennent de deux enquêtes réalisées en juin, septembre et décembre 2016.

L’époque idéale

Le pessimisme des Français pourrait être lié à la nostalgie d’une époque révolue, peut-être celle d’un plus grand rayonnement de la France. Pour évaluer ce rapport au passé et à l’avenir, l’enquête demande aux personnes de désigner la période à laquelle elles aimeraient vivre : dans les années 1950, 60, 70, 80, 90, aujourd’hui, dans une autre époque passée, ou dans le futur. Il est surprenant de constater que très peu de gens déclarent avoir envie de vivre une époque à venir (Figure 2).

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Proportion des enquêtés au sein de chaque groupe choisissant l’époque en ordonnée en réponse à la question « Certaines personnes aimeraient bien vivre à une autre époque en France. Si vous aviez le choix, laquelle choisiriez-vous ? Source: CEPREMAP/INSEE Enquête trimestrielle. Les données présentées ci-dessus proviennent de deux enquêtes réalisées en juin, septembre et décembre 2016.

Les plus jeunes (moins de 35 ans) sont un peu plus nombreux à le souhaiter, mais leur proportion reste inférieure à 5%. A l’inverse, la majorité des enquêtés (plus de 70% d’entre eux) souhaiterait vivre dans une époque passée. La plupart désignent les années 1980 ; seuls les plus âgés (65 ans et plus) choisissent les années 1970. Entre 25% et 30% des personnes interrogées choisissent l’époque actuelle.

En moyenne, les gens avaient 22 ans (entre 17 et 27 ans) à l’époque vers laquelle ils disent vouloir retourner. Ainsi, les personnes âgées de 53 à 63 ans préféreraient vivre dans les années 1980. Est-ce par nostalgie de leur jeunesse, ou bien les années qui ont suivi ont-elles déçu leurs espoirs ? Peut-être les années 1980 étaient-elles une époque d’optimisme concernant l’entreprise et le marché, et la contribution des ces derniers au progrès social, une époque antérieure à l’accélération du progrès technique et où les effets douloureux de la mondialisation ne se faisaient pas encore sentir.

L’appétence pour l’avenir est un peu plus forte chez les personnes les plus éduquées, ainsi que celles qui jouissent d’un niveau de vie élevé. Ainsi, plus d’un tiers des personnes diplômées du supérieur déclarent vouloir vivre à l’époque présente ou à venir, contre un quart des diplômés du secondaire ou moins. La catégorie socioprofessionnelle joue aussi : les cadres et professions intermédiaires sont plus nombreux à choisir le présent ou l’avenir que les employés et les ouvriers. La nostalgie du passé semble bien exprimer une appréhension de ce que l’avenir nous réserve.

L’obsession du pouvoir d’achat en France

La dégradation de la satisfaction et des anticipations en France est en partie la conséquence de la crise de 2008. Les contraintes budgétaires se font sentir de plus en plus durement, et singulièrement le coût du logement (Figure 3, axe de droite), si bien que l’on voit les habitants de toutes les régions de France converger vers une préférence largement majoritaire pour davantage de pouvoir d’achat plutôt que davantage de temps libre (Figure 4).

2017-03-Figure 3Axe de gauche : évaluation moyenne de la satisfaction de vie, sur une échelle de 0 à 10, dans le présent (courbe verte) et à un horizon de 5 ans (courbe bleue). Axe de droite : Proportion de répondants de l’enquête déclarant manquer de moyens financiers pour faire face à leurs dépenses de logement.

2017-03-Figure 4Proportion des répondants préférant une augmentation de leur pouvoir d’achat à une augmentation de leur temps libre.

Dans ce contexte d’inquiétude concernant l’économie, la satisfaction des Français dépend fortement de leur revenu (figures 5 et 6 ci-dessous) et de leur diplôme (figures 7 et 8 ci-dessous), et ceci pour tous les domaines de la vie, économiques ou non, même la santé, la sécurité et le temps libre. Seules exceptions : les relations sociales, les relations au travail et l’équilibre vie-travail (figures 6 et 8). De fait, plus on appartient à un groupe de revenu élevé, plus on est conscient d’être plus heureux que ses concitoyens. Ces différences n’ont fait que s’accroître au cours du temps, et une tendance à la montée des inégalités de bien-être s’observe au cours des années 2000.

2017-03-Figure 8 2017-03-Figure 7 2017-03-Figure 6 2017-03-Figure 5Source: CEPREMAP/INSEE Enquête trimestrielle. Les données présentées ci-dessus proviennent de deux enquêtes réalisées en juin, septembre et décembre 2016.

L’importance particulière du revenu dans la satisfaction générale en France

On observe ici une nouvelle exception française : au sein d’un groupe de pays européens, c’est en France que l’association statistique entre bonheur et argent est la plus forte.

2017-03-Figure E2 2017-03-Figure E1

La situation particulière de la France

Le pessimisme et la faible satisfaction des Français sont particulièrement aigus, par rapport aux autres pays européens comparables (graphique ci-dessous, à gauche). Par rapport au Portugal, pris comme niveau de référence, le fait de vivre en France procure le niveau de bonheur le plus faible au sein des pays européens. Ce sont les pays nordiques qui connaissent les niveaux de bonheur les plus élevés. Bien entendu, plus les pays sont riches, plus leurs habitants sont heureux, en moyenne. Mais la France, comme le Portugal et l’Allemagne sont en-dessous du niveau de bonheur et de satisfaction dans la vie que leur niveau de richesse devrait procurer (la ligne en pointillés sur la figure 10).

2017-03-Figure 10

Source: European Social Survey Rounds 1-7. Effet fixe du pays dans une régression MCO contrôlant pour âge, sexe, statut marital, statut d’emploi, décile de revenu, lieu de naissance et année de l’enquête. « Sur une échelle allant de 0 à 10, quelle note donneriez-vous à votre niveau de bonheur ? ». Échantillon d’environ 24 000 individus

2017-03-Figure 9

Source: European Social Survey vague 7 pour bonheur (moyenne pondéré par pays) et le World Wealth and Income Database pour le PIB par habitant.

Différences régionales

Les inégalités évoquées conduisent à des différences importantes entre régions de France. De manière générale, la région Nord1 concentre les habitants les moins satisfaits dans toutes les dimensions de l’existence : satisfaction générale, vis-à-vis des perspectives futures, des loisirs, du logement et même des proches. À l’inverse, la région Ouest est la plus satisfaite (voir Tableau 1 pour la spécification complète des régions utilisées dans ces graphiques).

2017-03-Figure 11

Figure 11Les valeurs représentent l’écart entre les moyennes par ZEAT et la moyenne sur l’ensemble de l’échantillon des questions relatives aux dimensions économiques (axe horizontal) et non-économiques (axe vertical).

Source: CEPREMAP/INSEE Enquête trimestrielle. Les données présentées ci-dessus proviennent de deux enquêtes réalisées en juin, septembre et décembre 2016.

2017-03-Figure 12

Les valeurs représentent l’écart entre les moyennes par ZEAT et la moyenne sur l’ensemble de l’échantillon des questions relatives à la satisfaction de vie présente (axe horizontal) et dans le futur (axe vertical).Source: CEPREMAP/INSEE Enquête trimestrielle. Les données présentées ci-dessus proviennent de deux enquêtes réalisées en juin, septembre et décembre 2016.

Ces différences valent pour les dimensions économiques et non économiques de l’existence ; elles concernent la situation présente aussi bien que la perception de l’avenir (Figures 11 et 12).

Notons aussi la satisfaction beaucoup plus élevée des habitants de la Région parisienne (Île de France) par rapport à ceux du Bassin parisien (Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Basse et Haute Normandie, Picardie). On vérifie que les habitants du Nord sont les plus contraints par leur budget ; ils sont les plus nombreux à déclarer qu’ils ont du mal à faire face à des dépenses imprévues, à boucler les fins de mois, ou à acheter des vêtements neufs. C’est pourtant en Île de France et en Méditerranée, ou la bulle immobilière a été plus forte, que les ménages ont plus de mal à rembourser leurs emprunts.

Régions utilisées

ZEAT

Région parisienne

Île-de-France

Bassin parisien

Bourgogne
Centre
Champagne-Ardenne
Basse Normandie
Haute Normandie
Picardie

Centre-Est

Auvergne
Rhône-Alpes

Est

Alsace
Franche-Comté
Lorraine

Méditerranée

Languedoc-Roussillon
PACA
Corse

Ouest

Bretagne
Pays de la Loire
Poitou-Charentes

Nord

Nord-Pas-de-Calais

Sud-Ouest

Aquitaine
Limousin
Midi-Pyrénées